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Table des matières

La première filature mécanique de Giromagny – L’usine dite du « Brûlé »

François Liebelin

2

Le grand incendie du 31 mai 1878

François Liebelin

16

La construction de l’école d’Auxelles-Bas ou « les lieux de la discorde »

Jean Tritter

26

Les établissements Woerlin, puis Hanauer-Woerlin, à Lachapelle-sous-Rougemont

Pierre Hézard

27

Avoir été…

François Sellier

33

Le Silence – nouvelle d’Henry Poulaille

Claude Canard

35

Henry Poulaille

Claude Canard

38

« Schwyr » avec un Z comme… « Schwyz »

François Sellier

39

Le Ballon d’Alsace, terrain de toutes les aventures

François Sellier

40

La taille de la famille à Leval entre 1795 et 1994 (complément)

Jean de Zutter

41

MAGAZINE

 

 

La Vôge a lu

 

44

La première filature mécanique de Giromagny.
L’usine dite « du Brûlé » (1812-1878)

Au centre du bourg de Giromagny, en face de l’Hôtel de ville, derrière le magasin de quincaillerie de la famille Piller et jouxtant Ie terrain de boules du parc dit « du Paradis des Loups », se dressent les derniers soubassements d’un complexe industriel plus connu des vieux Giromagniens sous l’appellation de « Filature du Brûlé ».

Quelques années avant la seconde guerre mondiale, la vieille cheminée carrée, la plus ancienne de toute la région puisqu’elle fut édifiée en 1827, vit sa partie sommitale affublée par le syndicat d’initiative de l’époque d’un faux nid de cigognes. Il devait soi-disant attirer les oiseaux migrateurs en ce lieu. Plus près de nous, dans les années 1974-1976. la municipalité ayant acquis une partie des bâtiments encore existants et l’ancienne centrale hydroélectrique, décida de faire place nette afin d’installer le terrain de camping actuel. Ainsi disparaissait une des dernières parties du complexe industriel de Giromagny, le plus chargé d’histoire.
Nous n’avons pas ici la prétention de retracer tout le passé de cette première filature mécanique du nord Territoire de Belfort, mais simplement situer dans le temps, les extensions progressives et quelque peu anarchiques de cette fabrique. Extensions liées intimement à la maîtrise des deux énergies complémentaires : hydraulique et thermique.
Jusqu’au tragique incendie de I 878, elle fut la plus vaste et la plus haute bâtisse industrielle implantée au coeur même de Giromagny. Construction emblématique voulue par les premiers industriels du textile, les Boigeol originaires d’Héricourt.
Giromagny, ce chef lieu de canton montagnard, tombé dans une profonde léthargie depuis la fin de l’exploitation minière, connut au XIXème siècle, grâce à l’industrie textile un véritable boom démographique.

Le marasme de l’industrie textile alsacienne au début du 1er Empire. Les prémices de l’industrie textile à Giromagny.

1806 (1er mai): le préfet du Haut-Rhin, transmet au ministre de l’Intérieur un rapport concernant la filature decoton, la bonneterie, les tissus de coton, et les toiles peintes que l’on fabrique dans son département. Il résume la situation de la manière suivante : « … votre excellence pourra remarquer que les filatures à la mécanique n’existent en grand que dans les manufactures de Bollwiller et Wesserling, tandis que la filature à la main occupe environ 15 000 individus dons les vallées les plus pauvres et leur distribue annuellement une somme de
plus de 200 000 francs… »
1807 (20 avril) : plainte des industriels mulhousiens : « … nos exportations sont absolument nulles, l’ltalie, I’Allemagne et le Nord étaient depuis nombre d’années approvisionnés exclusivement par les Anglais et les Suisses. Ce sera que lorsque les encouragements accordés par le gouvernement aux fileurs et tisseurs fronçais les auront mis à même d’établir les toiles de coton d’aussi bas prix gue ces étrangers que nous pourrons espérer entrer en concurrence ovec eux. les débouchés de nos produits se réduisent donc pour le moment à la consommation de la France… »
1808 (9 septembre) : nouveau rapport du préfet au ministre : « … le nombre des ouvriers occupés actuellement dans les fabriques, manufactures et forges s’élève à 40 937, tandis qu’il y
en avait 56 774 occupés en 1805. Cette différence provient :

  1. d’une stagnation momentanée qui a régné dons la fabrication des toiles peintes, draps et siamoises du département, à raison des circonstances de la guerre.
  2. de l’introduction des machines pour la filature et le tissage du coton. Ce dernier objet occasionne une perte considérable aux pauvres qui avoisinaient les fabriques et manufactures.

D’après la déclaration des principaux manufacturiers, je me suis assuré que la filature du coton à la main répandait par an plus de 500 000 froncs dons les communes situées le long des Vosges… »

C’est pourtant dans ce marasme économique que débute la construction de la grande filature de Giromagny. Les vallées vosgiennes abritent en effet un grand nombre d’ouvriers-paysans au chômage depuis les tentatives infructueuses de reprise des travaux miniers, tant à Giromagny, Auxelles-Haut, Lepuix-Gy. Ces montagnards filent et tissent à façon, écoulent ponctuellement leurs produits en Alsace et en Suisse toute proche. Les industriels alsaciens, apparaissent très vite conquis par cette main-d’oeuvre peu exigeante, facile à licencier à la première crise économique, et prête à être réutilisée par la suite.
L’exemple de Mulhouse fait rapidement des émules. Charles-Christophe Boigeol, dont la famille s’est spécialisée dans le textile à Héricourt depuis le milieu du XVlllème siècle, apporte également à Giromagny des filés qu’il fait tisser à bras dans les villages et les fermes de la montagne pour le compte de la maison Boigeol frères.
ll devenait alors évident qu’à court terme, une filature s’installât au chef lieu de canton, en un lieu où I’on pouvait tirer parti de l’énergie hydraulique de la Savoureuse. Malgré les  craintes du préfet du Haur-Rhin, la mécanisation des filatures sera Ie premier maillon d’une expansion sans précédent de l’industrie textile en Alsace.

La grande filature mécanique de Giromagny

La bâtisse, telle qu’elle se présentait au moment du terrible incendie de 1878, était l’aboutissement de cinquante années de transformations, d’agrandissements successifs plus ou
moins esthétiques.

Le choix de I’emplacement

  • 1806 (8 juin): Charles-Frédéric et Charles-Christophe Boigeol, frères, négociants, demeurant à Héricourt achètent à Giromagny la maison, dite « de maître », de Claude-Jacques Ecoffer, avocat à Belfort. Cette bâtisse située au centre du bourg, près de l’ancienne halle aux blés, avait été édifiée par le bailli de la seigneurie du Rosemont, Nicolas Noblat, vers 1746-50. Les dépendances, les anciennes écuries et grange serviront au stockage des filés et des pièces de coton. Jacques-Frédéric Picard, beau frère de Charles-Christophe, fondé de pouvoir de l’entreprise familiale, fixe sa résidence à Giromagny.
  • 1809 : achat de l’ancien moulin seigneurial dit « moulin du bas » avec son canal et une partie des terrains attenants.
  • 1812 (24 juillet) : les frères Boigeol échangent à Giromagny, en amont de la maison acquise en 1806 une parcelle de terrain avec le sieur Joseph Verrier. La finalité de la transaction est un premier pas vers la construction d’un canal d’amenée permettant l’alimentation du moteur hydraulique de la filature en construction.
  • 1813 (8 juin): la veuve Wetzel et Jean Pierre Guenot, concèdent à perpétuité à Charles Christophe Boigeol : « le droit d’étoblir dans le terrain joignant la maison des cédants, dans la partie au levant contre la rivière, un aqueduc ou rigole de la largeur de 64,9 centimètres et de la profondeur que les sieurs Boigeol jugeront convenable… Les acquéreurs pourront attirer les eaux par ce canal depuis l’écluse du moulin, placée au-dessus pour les faire arriver dans leur verger situé au midi et servir au roulement de toute espèce d’ usine qu’ils voudraient y établir. »
  • 1813 (3 août) : Jacques-Frédéric Picard, fondé de pouvoir des sieurs Boigeol, achète en leur nom à François Desdames, serrurier, une petite lisière en forme de triangle. Ce terrain est destiné au passage d’un canal, prenant son embouchure dans la rivière au dessus et à I’angle occidental de l’écluse des acquéreurs. Les installations hydrauliques, achevées dès I’automne 1813, rendent opérationnelle cette filature mécanique, la première du genre à Giromagny. Bâtisse à trois niveaux dont le pignon occidental prend naissance en limite de la voirie départementale, juste à I’emplacement de I’actuelle quincaillerie Piller. Dès I’année suivante, elle occupe déjà 33 ouvriers sur des métiers à filer mécaniques de conception anglaise du type « Mule-Jenny » ( machine qui remplaçait I’antique rouet par un système de broches mobiles portant une bobine sur laquelle venait s’enrouler le fil).
  • 1815 : année marquée par une mauvaise conjoncture économique. Le déferlement des armées « alliées » n’encourage guère les investissements. Le décès d’un des associés Charles-Christophe Boigeol, risque de paralyser l’entreprise. Son fils Ferdinand-André en apprentissage en Allemagne n’a que 15 ans. Il est rappelé d’urgence à Héricourt, puis recueilli par Jacques-Frédéric Picard, son oncle maternel, assurant à Giromagny, depuis près de dix années, la direction de l’entreprise familiale.
  • 1820 (19 octobre): Frédéric-Picard et son épouse Louise Schom achètent à Giromagny la maison de François-Xavier Billot, située Grande Rue. Son association avec les Boigeol
    d’Héricourt, semble se terminer puisqu’il est remplacé au sein du groupe par Louis Macler, mari de la soeur de Ferdinand, lequel, selon la volonté de la famille, vient fixer définitivement sa résidence à Giromagny. Les affaires prospérant, on envisage une première extension du bâtiment primitif.

Premier agrandissement pour I’installation d’un tissage à bras (1820-1821)

Dès la fin de l’année 1820, le tissage à bras construit dans le prolongement de la filature est opérationnel. ll renferme alors 40 métiers à bras permettant la fabrication de calicots. La production s’élève à 2000 pièces en 1826. Le tissage sur place des filés produits par la filature permet désormais à la firme de s’affranchir en partie du travail à façon des tisserands à domicile.

  • 1820 : la société Boigeol frères et Macler acquière à Giromagny des héritiers de la veuve Wetzel, une maison incendiée située grande rue avec le terrain en dépendant. A son emplacement, on construira quelques années plus tard des bureaux, un magasin de vente et un « passage couvert » donnant accès direct à la rue. Lequel passage fut surmonté d’un clocheton vers 1880.
  • 1821 (10 octobre) : enquête réalisée auprès des riverains qui s’inquiètent de la demande d’élargissement du canal de la filature et de la transformation de l’écluse sur la Savoureuse. Le maire Jean-Baptiste André est d’avis d’autoriser la société Boigeol-Macler à l’établissement du nouvel ouvrage, mais à condition de conserver pour les besoins de la population le canal « du moulin du bas », propriété de l’usinier depuis 1809.
  • 1822 : la filature mécanique occupe maintenant 151 personnes presque toutes originaires de Giromagny: 74 hommes et 77 femmes.
  • 1823 (18 mai) : mariage de Ferdinand Boigeol et Suzanne Louise Japy, fille de l’industriel Frédéric-Louis Japy et Marie Marguerite Perlet de Beaucourt. La jeune mariée, reçoit de ses parents, un avancement « d’hoirie » de 10 000 francs et un trousseau d’une valeur de 7000 francs. Quant au futur époux, il dit posséder : « pour ce qui luî est échu de la succession de ses parents et des économies réalisées par lui, une somme d’une valeur de 60 000 francs ». Le couple s’installe à Giromagny dans la maison « de maître », située au coeur même de l’entreprise. (Ferdinond Boigeol en 1853 détruira la maison de « maître » du Bailli Noblat pour édifier à son emplacement une belle demeure bourgeoise dite « Château du Paradis des Loups »).
  • 1824 (31 octobre) : achat de parcelles de terre jouxtant le canal de la filature et l’écluse sur la Savoureuse. A une date indéterminée, mais logiquement faisant suite au premier agrandissement de l’usine, un nouveau canal de près de 3 m de large est creusé afin d’améliorer la force motrice hydraulique. Le siège social de firme Boigeol-Macler reste fixé à Héricourt, le fondé de pouvoir à Giromagny étant Ferdinand Boigeol. Achat également d’une propriété à Auxelles-Bas et construction d’un tissage à bras de 64 métiers.

Constitution de la Société Boigeol-Herr à Giromagny

  • 1825 : Louis Macler, pour des raisons mal connues, rompt son association avec la firme d’Héricourt ; la fondatrice de la première filature mécanique de Giromagny, dirigée maintenant d’une main de maître par un jeune homme débordant d’ambition.
  • Le 10 août de cette même année 1825, Ferdinand Boigeol, s’associe avec son beau frère, Georges-Théophile Herr, négociant à Colmar. D’où fondation d’une société dont le siège social fixé à Giromagny, marque la rupture définitive avec
    Héricourt.

Nous prenons la liberté de transcrire en entier ce traité de société, le premier connu, et où rien n’est laissé au hasard. Il marque véritablement après la fermeture des mines de plomb argentifère au siècle précédent, le véritable début du second souffle industriel du secteur de Giromagny.

Traité de société Boigeol-Herr

  1. La société est contractée pour vingt années, qui ont commencé le 16 juillet dernier et finiront le 16 juillet 1845.Toutefois, il sera loisible à l’un ou à l’autre des associés d’en faire opérer la dissolution, soit à la fin de la cinquième année, soit au bout de toute autre année ultérieure, en avertissant son associé un an à l’avance et, dans ce cas, il sera fait toutes les diligences nécessaires pour la vente des marchandises, afin qu’il reste le moins possible en magasin.
  2. Le siège de l’établissement est fixé à Giromagny.
  3. La raison sociale sera: Boigeol et Herr. Chacun des associés est autorisé à administrer et signer les actes, engagements et signatures de l’un obligeant les associés solidairement.
  4. Le fonds capital de la société est fixé à la somme de 180 000 francs : Mr Boigeol y contribuera pour celle de 120 000 francs et Mr. Herr pour 70 000 francs. La mise de fonds de chacune des parties sera, à peine de dommages et intérêts, complétée le 16 juillet 1826, et toutes les valeurs qu’elle n’aura pas versée à la caisse sociale jusqu’à cette époque, porteront intérêt au taux de 6 % depuis le dit jour 16 juillet dernier. Les usines de toute espèce, maison de maître, tissages, teintureries, terrains en dépendant, les machines, métiers, chaudières, ustensiles et autres objets quelconques servant à la fabrication, appartenant à I’un ou à l’autre des contractants dans les communes de Giromagny et Auxelles-Bas, feront partie de sa mise de fonds suivant leur estimation, sans pour autant en céder la propriété à la société, qui n’en aura que…

(La suite dans : La première filature mécanique de Giromagny. L’usine dite « du Brûlé » (1812-1878), par François Liebelin page 2)

Les établissements Woerlin, puis Hanauer-Woerlin à La chapelle-sous-Rougemont

La guerre de 1870 a beaucoup bouleversé le monde, et principalement la frontière franco-allemande.
De nombreux alsaciens ont volontairement quitté leurs chers villages pour ne pas subir le changement de nationalité : français ils étaient, français ils voulaient rester. Beaucoup choisirent une zone proche, espérant que la situation créée ne durerait pas.

Parmi tous ces émigrés de force, la famille WOERLIN débarque à Petite-Fontaine au moulin, en provenance de lssenheim (68) (14 km au nord de Cernay) où ils avaient fondé une entreprise en 1869, (d’après recueil de 1951 de Mr. le Curé Jules LHOTE), avec très peu de bagages mais armés de leur savoir faire et la volonté de s’en sortir.
Cette famille se composait du couple Louis WOERL|N, 52 ans, né le 18/05/1818 à Kembs (68), et exerçant la profession de serrurier mécanicien, navetier, marié à lssenheim le 29/06/1853 à Françoise GROETZ, née le 24/06/1832 à lssenheim. D’où 4 enfants, tous nés à lssenheim :

  • LouisWOERL|N âgé de 16 ans (né le 01/04/1854)
  • Albert WOERL|N âgé de 11ans (né le 07/05/1859)
  • Joseph WOERLIN âgé de 8 ans (né le 03/03/1862) décédé en 1923.
  • Françoise WOERLIN âgée de 3 ans (née le 27/12/1867)
  • ainsi qu’une 7° personne, Victor GROETZ, âgé de 38 ans (né le 24/06/1832), frère de Françoise GROETZ épouse WOERLlN.

À leur arrivée, ils louent un atelier, au moulin de Petite-Fontaine (qui fut sans doute par la suite, la « Tannerie CHAGUES », puis les transports CORDIER), pour y exercer leur activité.
Louis WOERLIN-fils parachève ses études et apprentissages par un stage dans le cadre du « Compagnonnage ». Particulièrement doué en mécanique, très inventif, il deviendra vite le successeur qualifié de son père, entraînant dans son sillage le reste de la famille.
Les années passant, sans que la frontière donne des signes de retour sur le Rhin, les affaires se développant, il faut songer à s’agrandir, et c’est en 1893 qu’ils procèdent à l’achat d’un terrain doté d’une maison, à proximité de la Saint Nicolas et y construisent un atelier comprenant deux salles : la première pour la forge, et la seconde pour la finition des produits. Un bief de détournement, établi à partir de la rivière, sous une passerelle supportant un dispositif de vannage, assurera la rotation d’une roue à aubes, entraînant les machines. Sur cet ancien équipement, rien de précis, reste le souvenir d’enfant : la passerelle sur la rivière, un peu branlante, aux planches disjointes, à la main courante faite d’un câble, et un reste de châssis pour un treuil de vanne. La rampe d’accès était constituée de deux madriers à plat, reliés par quelques liteaux formant barreaux-marche. Evidemment, il était interdit aux jeunes de franchir la passerelle sans un adulte. Elle fut détruite en 1944 ; elle ne servait plus qu’à traverser la rivière, pour aller dans le petit bois où restaient les vestiges d’un abri effondré, datant de la Guerre de l9l4-18. Pour le bief, seule une légère dépression sur son trajet, due au tassement après comblement. (Voir schéma page 29).
Sur le livre de paie, il est possible de relever les noms : du contremaître Jules DEMAITRE entré le 02.04.1879 et sorti le 09/02/1924, soit 45 ans, quelle fidélité ! et du personnel qui a pour noms : DEMAITRE, BLONDE, IAIGNY, KESSLER, MEURET, MARCHAND, CHARBERET, COTTELEUR, SCHWIRT, RAMPACH, LANG, ROUSSEAUX, HAVEY.
L’effectif au 20/12/1910 est de 10 salariés. En juillet 1914, il est de 13 salariés.
Au 15 août 1914 l’effectif tombe à 2. DEMAITRE Marcel et Antoine HAVEY, puis augmente progressivement jusqu’à 10, et 12 en 1920 où I’on retrouve les mêmes noms de famille, plus des GRISET MEISTER, HIRTH, ROSSE, GENDRE, SCHACHERER, FRANCOIS, ENEE, BIHR, FOLTZER, DEVALLAND, HATTENBERGER, SAUVAGEOT, RIZZI, MEISLER, FINCK.
Le 01/07/1903 ils immatriculent sous le n’ 482 (numérotée par la suite 2474 Nl) une De Dion Bouton 3 CV au nom de » Mrs.WOERLIN Frères ». (modernité)
Dans les années 1920, la roue à aubes a été supprimée au bénéfice d’un gros moteur électrique qui entraînait l’ensemble de la machinerie. Le bâtiment est augmenté d’une salle, du coté rivière, destinée entre autre, au débit des bois servant à l’usinage des pièces tournées.

Les principales fabrications, assez variées, on été les suivantes :

  • Les pointes de navettes : pièces ogivales pointues en acier, partiellement traitées, équipant les deux extrémités de la navette du métier à tisser, (spécialité de base de la Maison). Ces pièces, à l’époque, sont forgées à la main sur l’enclume de pré-formage. Par la suite, elles seront forgées sur 4 martinets à vapeur qui équipent « la forge » et se vendent en France, en Belgique, en Espagne.
    – Les vilebrequins pour métier à tisser, pièces forgées dans des ronds de 50/60 mm. De diamètre, et plus pour une longueur variable d’environ 800 mm nécessitant une puissance importante des éléments de forge.
  • Les broches de navettes, servant d’axe à la canette dans la navette, pièces forgées à partir d’acier carré étiré et effilé par forgeage d’une partie de la pièce, le talon gardant sa forme d’origine sur 2 à 4 cm de long suivant le modèle. La machine à forger à quatre passes a été conçue et réalisée par Louis WOERL|N.
    – Les disques d’ensouple, flasques équipant les rouleaux d’ensouple où s’enroulent le tissu à la sortie du métier à tisser. Disques en forte tôle de 50/60 cm de diamètre dont le pourtour est enroulé. Ce travail nécessitait un gros outillage de tournage.
  • Les ressorts de broches, de forme approchant celle d’un  » ?  » destinés au rappel et blocage de la broche, nécessite un outillage spécial qui a été réalisé par Louis WOERL|N
  • Les crochets de canette destinés à retenir la canette sur sa broche durant le travail. Ces pièces ont été remplacées par les pinces « Nortrop » mono pièce.
  • Les plaquettes de navettes, plaques de blindage situées sur un coté des grosses navettes afin de résister au frottement.
  • Recherches nouvelles, les tendeurs de haubans pour avions légers, type de tendeurs à lanterne dont l’écrou était en laiton et les vis en acier (il est difficile de dire aujourd’hui l’importance de cette fabrication).
  • Différences pièces en acier forgé et tourné, tourillons et autres pour l’industrie textile.
  • Différentes pièces de bois également tournées pour la même industrie.

La mise au point du forgeage par matrices de formes sur martinets à vapeur (matériel choisi pour sa grande souplesse de fonctionnement, mais nécessitant une sérieuse dextérité du forgeron), a entraîné une évolution notable du matériel, qui bien sûr ne se trouvait pas sur le marché. Cette fabrication était à l’époque une spécialité unique en France. Ce procédé, imposait l’usage de matrices à 3 empreintes, usinées sur place par un spécialiste de la Maison. La matière première utilisée pour les pointes était des barres d’acier de 16 à 26 mm de diamètre suivant les cotes des pièces à livrer.
La pièce sortait du cycle forge : trempée sur la partie pointue seulement, la tige crantée ou …

(La suite dans : Les établissements Woerlin, puis Hanauer-Woerlin, à Lachapelle-sous-Rougemont, par Pierre Hézard page 27)

Avoir été…

La terre s’ouvre, un peu de chair y tombe;
Et l’herbe de l’oubli, cachant bientôt la tombe,
Sur tant de vanité croît éternellement.
Leconte de Lisle (poèmes barbares)

Rougemont-le-Château. Un cimetière aux couleurs chrysanthème comme le sont tous les cimetières, un jour de Toussaint. Toutes ces tombes qu’on est venu désherber, nettoyer, embellir en mémoire de ceux qu’on a aimé. Et puis, ici et là, une place à l’abandon…

Parmi ces carrés de l’oubli, abandonnés aux herbes folles, il en est un qui, par la noblesse du monument, par l’ouvrage de sa grille, respire encore un statut social qui fut confortable.
Et pour cause, cette tombe est celle de Gaston Erhard, ancien « maître » du canton de Rougemont.
Né à Masevaux le 26 juin 1842, Gaston Erhard est le fils de Victor, industriel masopolitain, venu établir un tissage à Rougemont en 1846. A la mort de ce dernier, le 27 mai 1890, Gaston Erhard prend la direction de l’entreprise qui deviendra la plus importante de la commune. En janvier 1913, I’usine Erhard compte 385 employés. Elle assoit sa notoriété sur la fabrication des calicots, des croisés ordinaires, des croisés chaîne double, des satins divers, des percales, des ottomans, des reps, des brillantes et des draps de coton.
Rude, hautain, distant et surtout très autoritaire, Gaston Erhard « règne » sur le village et ses environs. Maire de Rougemont durant 26 ans (du 8 octobre 1876 au 9 janvier 1903) il est élu au Conseil général en 1889 dont il devient le président en 1894 sous l’étiquette des Républicains libéraux.
En fervent catholique, il s’éteint, muni des derniers sacrements, au soir du 5 novembre 1925 dans sa 84ème année. Ses obsèques, qui se déroulent le lundi 9 novembre à Rougemont, sont à la hauteur de la notoriété du personnage. Sont présents: le préfet, les conseillers généraux, le directeur belfortain de la Banque de France, le général Petit représentant la garnison de Belfort, plusieurs maires du Territoire et des départements voisins, quasiment tous les industriels de Belfort, Giromagny, Delle, Morvillars, Grandvillars, Rougemont etc… le corps des sapeurs pompiers, tout le personnel de son usine et une grande partie de la population rougemontoise.
Le cortège et la cérémonie religieuse se déroulent aux accents de I’Harmonie des Usines, son Harmonie… Au cimetière, les discours n’en finissent pas; au moins cinq ! Tous les orateurs mettent en valeur les qualités exceptionnelles de Maître de maison, de Patron, d’Homme du monde qui donnaient à sa physionomie une si forte personnalité, une si puissante image.
78 ans plus tard, sa tombe ne ressemble même plus à celles des anonymes qui peuplent le cimetière de Rougemont. L’épitaphe sur le monument est rongée par Ia pluie et le vent, la barrière qui I’entoure est mordue par une rouille épaisse…
Quand-même, l’églantier qui partait à l’assaut de la croix a disparu à la veille de la fête des morts. Le jardinier municipal est passé par-là, comme il est passé partout où il a décelé l’oubli. Mais devant cette tombe sans fleurs, sans verdure, anonyme parmi les anonymes, qui se souvient encore que la famille enterrée là, était autrefois maîtresse en son pays ?…

Ce numéro de La Vôge est épuisé.

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