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Table des matières

Faits d’hivers

François Sellier

2

Souvenirs de la libération d’Etueffont

Jacques Didier

13

En passant par le Querty

Dominique Dattler

17

Un vicaire de Rougemont, l’abbé Lecomte

Claude Canard

19

Il y a cent ans, I’inauguration du monument Miclo à Grosmagny

Philippe Dattler

23

L’arroseur arrosé

François Sellier

27

Le vieux fusil du château de Rougemont

Philippe Dattler

28

MAGAZINE

 

 

Une époque formidable : des préservatifs pour les bovins

Claude Canard

30

Du côté du Vieux-Château de Rougemont

Pierre Walter

32

Adieu passeurs

François Sellier

35

Fête des mineurs à Rougemont

Photos F. Sellier

36

Un sauvetage au Ballon d’Alsace

Une coupure de journal d’une édition parisienne indéterminée, trouvée aux Archives départementales dans la série S nous révèle la drôle d’histoire d’un déneigement de la route du Ballon aussi difficile qu’inutile. L’article est daté du 23 janvier 1938 et emprunté à l’Est Républicain.

« Un ordre ministériel transmis par la préfecture mit en branle non seulement les services vicinaux du versant sud, mais encore une cinquantaine d’hommes du bataillon de Giromagny, réquisitionnés pour la circonstance, et transportés à pied d’oeuvre par des camions.
Parti du Saut-de-la-Truite dans la matinée de lundi, le chasse-neige entreprit la rude tâche d’ouvrir une tranchée dans les dunes blanches d’une hauteur, par places, de plus d’un mètre. Cantonniers et soldats, armés de pelles, complétaient le travail de l’engin mécanique qui, avec la lenteur puissante d’un boeuf de montagne, traçait son laborieux sillon sur la route sinueuse.
On travailla ferme tout le jour dans cette mine blanche à ciel ouvert. La « charrue » épuisa jusqu’à la dernière goutte sa réserve de carburant. Une corvée d’hommes, au prix de mille difficultés, partit au ravitaillement. Les quatre volontaires, ayant par moment de la neige jusqu’à la ceinture, ramenèrent de l’arrière un bidon de cinquante litres.
La nuit survint que le chasse-neige et ses pionniers n’étaient encore qu’au kilomètre 7, loin du pôle et de l’objectif à atteindre.
La situation de la caravane de secours devenait critique. Une formidable tempête de vent et de neige s’était abattue sur la montagne et, en l’espace de deux heures, une couche fraîche de près de 80 centimètres était venue combler le sillon si péniblement creusé sur la route. Devant eux un parapet infranchissable de 1m90 et derrière, un ados de 0m80.Tout espoir d’atteindre le sommet était impossible et même dangereux.
Il fallut battre en retraite. Les vieux cantonniers, habitués pourtant à tous les coups durs, vous diront que cette nuit de lundi à mardi fut un vrai cauchemar de banquise et la plus rude épreuve de montagne qu’ils aient vécue.
Dans la tourmente de tous les diables, où un vent violent et glacé leur lançait à la figure des paquets de neige, éclairés par des falots qui trouaient péniblement une nuit d’encre, nos hommes tout givrés et transis firent marche arrière.
Ils bataillèrent toute la nuit contre les éléments déchaînés, contre la neige, contre le froid, contre la faim et ne se retrouvaient complètement exténués, qu’à 4 heures du matin à la base de départ au Saut-de-la-Truite. C’est un miracle que la congestion n’ait pas fait de victimes parmi les cantonniers et surtout parmi les 50 militaires, moins habitués que les premiers à ce genre d’expédition. »

Après la relation du sauvetage, emprunté intégralement à I’Est Républicain, voici le commentaire du journal parisien :

« Et maintenant éclairons notre lanterne.
L’appel S.O.S. avait été lancé par « une personnalité parisienne » venue avec sa famille, à bord d’une puissante voiture, passer quelques jours à l’Hôtel du Sommet… Toute la famille était bien au chaud et ne courait aucun risque, pendant que les héroïques sauveteurs étaient exposés au froid et à la mort.
La « personnalité parisienne » était seulement rappelée à Paris pour affaires urgentes et sa puissante voiture se trouvait bloquée là-haut par la neige.
D’ailleurs (et voici ce qui est splendide) si les sauveteurs avaient pu réussir dans leur entreprise de sauvetage, ils n’auraient ramené personne.
Car « nos touristes parisiens » avaient tout simplement chaussé des skis et le plus facilement du monde, s’étaient laissés glisser jusqu’à la Jumenterie (distance: 1200 mètres) d’où il leur avait facile de rallier St-Maurice et de là, la capitale.
(…) Que dire du monsieur qui, pour dépanner sa voiture, alerte un bataillon de chasseurs alpins et tout le personnel actif des Ponts et Chaussées, alors qu’il est venu pour faire des sports d’hiver et que précisément la panne lui offre l’occasion d’une agréable descente en ski ?
La puissante voiture est encore là-haut, sur le Ballon d’Alsace.
N’existe-t-il pas un règlement qui permette de la vendre aux enchères publiques pour en verser le prix à la Caisse de Retraites des Cantonniers ou à l’ordinaire des chasseurs de Giromagny ? » (…)

Faits d’Hivers

« On n’a plus d’hivers » entend-on souvent comme à regret d’un temps révolu.
Certes, les hivers d’aujourd’hui semblent bel et bien moins rigoureux qu’autrefois. Les scientifiques sont unanimes à penser que Ia variation du climat est cyclique. Ainsi « Ie Petit Ange Glaciaire », période de refroidissement sensible, a-t-il affecté l’ensemble de la planète entre 1500 et 1850. Plus récemment et plus modérée, une mini-phase de refroidissement s’est installée depuis les années 1940 jusqu’en 1975, relayée depuis par une période plus chaude.
Il n’est donc pas illusoire de remarquer que nos hivers d’aujourd’hui sont moins rigoureux.
A qui la faute ? Au soleil, dont les taches actives conditionnent les climats, ce qu’avait déjà remarqué Galilée au début du 17ème siècle. Actuellement l’activité du soleil augmente, celle des terriens aussi, ce qui conduit au réchauffement de notre planète. (CQFD)

Déboisement coupable !

Si le scientifique de l’an 2000 brandit le spectre de l’effet de serre pour expliquer la contribution de I’homme au réchauffement de la Terre, celui du 19ème siècle tenait, lui aussi, son coupable. Ainsi, dans les colonnes du sérieux « Nouveau Journal des Connaissances Utiles » (une sorte de Science et Vie des années 1850) apprend-on qu’en 86 ans (de 1709 à 1795) il n’y eu qu’un hiver très froid et que de 1795 à 1838 (soit 45 ans) le plus grand froid relevé en France était de -19°C et un jour seulement…
« Les saisons ne sont plus marquées comme elles l’étaient ; maintenant nous avons des hivers où même la neige n’arrive pas jusqu’à terre ou ne dure qu’un jour. Et le scientifique de 1854 de déplorer déjà que l’hiver n’est plus ce qu’il était. Et à cause de qui ? Au déboisement de la France « qui a rendu les hivers moins longs et rigoureux (…) Il est certain que les bois et les nombreux étangs neutralisaient la puissance du soleil jusqu’à la mi-février alors qu’aujourd’hui dès le 15 janvier, quand le ciel est sans nuages et que les vents du sud et de l’ouest viennent à régner, il fait fondre en un instant les neiges et les glaces ».
Le chroniqueur scientifique du magazine est formel, il faut reboiser au plus vite les montagnes et les terrains en pente, s’abstenir surtout de tous les élagages, nettoyages, éclaircies et « autres flagrantes mutilations ».
Ainsi donc, au milieu du 19ème siècle, quand commencent les observations sérieuses de météorologie, constate-t-on déjà un adoucissement relatif des saisons hivernales. Manière
de montrer, une fois de plus, qu’il n’y a rien de nouveau sous le soleil…
Histoire de rafraîchir nos idées sur la question, allons maintenant visiter quelques uns de nos hivers d’antan !

Epouvantable hiver 1788-1789

Aux dires de Lavoisier, l’hiver 1709 est le plus vigoureux que I’on connaisse alors. Il gèle à pierre fendre un mois durant dès le 7 janvier. A Paris, la température se maintient aux environs de -20°C ; on note même -17,5 à Marseille ! De nombreux arbres sont gelés jusqu’à l’aubier et la vigne disparaît de nombreuses régions de France. Dans ses mémoires, le curé de Courtemaîche, en Suisse, confirme que notre contrée est également frappée.
Un extrait du Diarium de Murbach nous parle de 1711 : « Jamais de mémoire d’homme il n’est tombé autant de neige un jour de Saint-Valentin, mais à son lever, le soleil vint sournoisement la fondre si bien que le lendemain il n’en restait trace. Par tout le pays, torrents et rivières en furent démesurément grosses ».
Le Journal de I’Hôtel de ville de Belfort (1749 -1774) signale que l’hiver 1755-1756 est d’une rare douceur avec à peine quelques jours de gelée tandis que celui de 1756-1757 est d’un grande rudesse avec des gelées constantes de la Toussaint aux Rois ! (A noter que le 18 janvier 1757, la région de Belfort est secouée par un fort tremblement de terre suivi trois jours plus tard par un vent très violent).
L’hiver qui reste dans la mémoire du 18ème siècle est sans nul doute celui de 1788-1789. ll est épouvantable. ll gèle sans interruption du 25 novembre au 13 janvier (excepté le jour de Noël !) note Georges Richardot de Montbéliard. Heureusement, juste avant la gelée, le 25 novembre, il tombe une importante couche de neige ce qui fera qu’au dégel les blés apparaîtront très verts, de quoi estomper quelques peu les souffrances.
Dans toute la France, cet hiver qui précède la Révolution, offre une image de désolation. Les fleuves sont tous pris par les glaces. Le vin se solidifie dans les fûts. La terre est si dure qu’on ne peut plus enterrer les morts. Près de Calais, les glaces recouvrent la mer jusqu’à huit kilomètres des côtes. A Paris, Louis XVI descend dans la rue pour distribuer, en personne, des aumônes aux nécessiteux (ce qui n’empêchera pas quelques mois plus tard, le soulèvement populaire que l’on sait…)

Ces maisons qui s’écroulent

Dans la seconde moitié du 19ème siècle, les hivers sont particulièrement neigeux en Pays-sous-Vosgien. Beaucoup de toitures, voire de maisons entières, ne résistent pas au poids de la neige.
En février 1853 l’importante couche de neige alourdie par une température clémente, provoque l’écroulement de deux maisons à Etueffont-Bas et d’une à Chaux.
En février 1855, pour la même raison, ce sont les toitures d’une maison du quartier du Mont-Jean à Giromagny et surtout celle du petit tissage à bras Petitzon à Lepuix qui cèdent. Le patron et ses ouvriers ont juste le temps de quitter la bâtisse. La couche de neige est telle, en ce début d’année 1855, que le préfet est obligé de réquisitionner des « indigents valides »  pour dégager les routes. Pour la seule commune de Saint-Germain, entre le 14 et le 24 janvier, on ne compte pas moins de 46 hommes employés quotidiennement à ce travail.
L’hiver suivant, toujours en 1855 mais en décembre cette fois, la neige fait un retour en force. A tel point que le commissaire de police du canton de Masevaux (dont font partie les  communes de Rougemont, Leval et Petitefontaine) est obligé de réquisitionner lui aussi des bras « en raison des énormes quantités de neige » à dégager. Quatre habitants de Leval et trois de Petitefontaine qui ont refusé de collaborer au déblaiement du chemin à grande communication N »26, entre Lauw et Lachapelle-sous-Rougemont, sont traduits en justice.

Les détours de la patache

Le vendredi 15 février 1895 en soirée, il commence à neiger en bourrasques. Il neige toute la nuit, toute la journée du samedi et une grande partie de la nuit du dimanche.
Du côté de Lachapelle-sous-Rougemont et Felon, la couche varie de 60cm à 1m50 et même au delà. Le chef cantonnier Cordier qui doit ouvrir la route entre Lachapelle et Belfort ne peut trouver assez de chevaux disponibles. Le chasse-neige destiné à l’ouverture de la route entre Belfort et la Haute-Saône est dirigé vers les Errues et Lachapelle. Des hommes sont réquisitionnés par les maires pour prêter main forte. Mais le travail est long, très long et très dur.
Ainsi, au soir du 10 mars, soit presqu’un mois plus tard, le sieur Reuillard entrepreneur au transport des dépêches (la patache) est-il obligé de quitter la RN83 aux Errues et passer par Saint-Germain et Rougemont pour ne gagner Lachapelle que le lendemain. Et cela parce qu’aux abords de cette commune il reste encore plus de 60 centimètres de neige sur la route « avec des ornières terribles où il n’est pas possible de trotter un pas sans crainte de culbuter ».
S’ensuit une vive polémique entre la direction des postes de Vesoul et l’ingénieur des Ponts et Chaussées de…Vesoul (dont dépend l’arrondissement de Belfort) ; polémique à laquelle est mêlé le préfet de Belfort, lequel reproche au maire de Lachapelle de ne pas avoir affecté suffisamment d’hommes de sa commune au déneigement. L’ingénieur, lui, prétend que si M. Reuillard avait bien voulu faire marcher ses chevaux au pas sur seulement 800 mètres, il serait arrivé le soir à Lachapelle plutôt que de les faire trotter par Rougemont…
En réalité, c’est le dégel qui a provoqué des ornières dans la neige tassée et glacée. Une poignée de cantonniers s’étant mise à casser la glace, le 22 mars la route est à nouveau praticable et la Patache peut arriver à l’heure à Lachapelle !

Trente heures de déluge

Toujours en 1895, mais en décembre, c’est l’eau qui fait des ravages. A partir du 5 et pendant près de 30 heures, une pluie torrentielle s’abat sur le piémont des Vosges. A Saint-Nicolas, les gendarmes constatent que  » la route, la prairie de la ferme et du couvent sont dégradées, une grande quantité de pierres et d’immondices sont épars dons les prés (…), le ruisseau de St-Nicolas s’est fait un autre passage près du couvent et causé jusqu’à Rougemont d’énormes dégâts sur la route ».
À Rougemont, les caves sont inondées, les pommes de terre, les légumes, les tonneaux nagent sur l’eau. Un mur de 2 mètres de haut et d’une longueur de 100 mètres, longeant la fabrique Erhard est emporté avec le terrain avoisinant par la St-Nicolas déchaînée.
À Leval, le pont du moulin tenu par le sieur Jules Chrétien, est lui aussi emporté.Toutes les maisons situées en contrebas sont inondées. La route est défoncée.
À Lachapelle-sous-Rougemont, le 6 décembre à 16h30, les habitants de la rue qui va de la gendarmerie à Petitefontaine doivent évacuer leurs maisons. Il y a entre 60 et 70 centimètres d’eau sur la route ! On parle d’une rupture de digues des étangs de Leval, le rapport de gendarmerie retient, lui, « une forte trombe d’eau venant des montagnes ce qui a  accru cette rivière (la St-Nicolas.) dans des proportions considérables qui ne se sont jamais produites de mémoire d’homme ! »
À Etueffont-Bas, le mur de soutènement de la Madeleine longeant l’école est complètement arraché laissant à nu les fondations de la mairie. Les deux passerelles sur la rivière sont emportées et les deux ponts du centre du village, sérieusement ébranlés. Une dizaine de maisons se trouvent isolées, le chemin les desservant ayant totalement disparu. D’énormes dégâts sont à déplorer au tissage Zeller.
En amont, à Etueffont-Haut, les dégâts sont similaires.
Le chemin vicinal ordinaire n°2 de Riervescemont à la Goutte Milandre s’est totalement effondré sur 450 mètres de long et sur une profondeur de 80 centimètres !

On taille le vin à la hache !

Quand arrive l’année 1917, après les massacres de Verdun et de la Somme, la France est en proie au doute. Et comme pour parachever le travail des armes, le pays connaît un hiver des plus terribles. Nos contreforts vosgiens ne sont pas épargnés.
Le 23 janvier, jour de la Saint-Vincent, jour où l’hiver reprend ou se casse une dent, le  thermomètre, qui oscille entre -9 et -14°, baisse encore. La bise glaciale n’empêche pas le général Nivelle, récemment nommé commandant en chef des Armées du Nord et du Nord-Est, de procéder à une remise de décorations sur le terrain d’aviation de I’Escadrille C34 à Romagny-sous-Rougemont.
Jusqu’à la fin janvier, la température avoisine les -20°. Heureusement, une bonne couche de neige isole les terres cultivées et le toit des maisons. Le 31 janvier à Rougemont, les chasseurs de la 157ème Division d’infanterie, profitent joyeusement des 25 centimètres de neige qui recouvrent les rues. Empruntant les luges des gosses du village, ils se lancent dans des descentes effrénées du Couchot ; ils jouent aux barres dans les prés enneigés. Hélas, la joie est de courte durée, ils doivent partir vers d’autres cieux…
La première semaine de février est toute aussi froide, le thermomètre affiche quotidiennement de -18 à -22°. Chacun essaie de se calfeutrer comme il peut. A Belfort, la Savoureuse est prise par la glace, la houille manque et l’on peut voir de longues files de gens qui vont chercher du bois vert dans la forêt de I’Arsot.
Rapidement la population tombe malade. On tousse, on est fiévreux, les troupes épuisées sont les premières touchées. Des chasseurs alpins, en cantonnement à Rougemont, sont particulièrement éprouvés. Ils s’enterrent dans le foin des granges, les habitants leur apportent des grogs, leurs chevaux dont on ne s’occupe plus, cassent tout tellement ils ont faim…
Dans beaucoup de caves du Pays sous-vosgien les pommes de terre…

(La suite dans : Faits d’Hivers, par François Sellier, page 2)

Souvenir de la libération d’Etueffont

Jacques Didier a 12 ans en 1944. Il se souvient des journées dramatiques de la libération d’Etueffont-Haut. Les combats firent rage et on dénombra plusieurs victimes civiles dont Louisette Marchal, réfugiée chez ses grands-parents.

Le 22 novembre 1944 vers 7h30, comme tous les jours, je pars au village descendre huit litres de lait, un bidon de quatre litres dans chaque main.Je prends rarement le chemin le plus court pour aller au village. Je décide ce matin là de prendre le sentier qui passe au bout des hauts champs et qui débouche vers le cimetière. A la sortie d’une courbe, je suis accueilli par une rafale de mitrailleuse légère. Demi-tour et fuite. Je reviens à la maison en un temps record mais…sans avoir renversé une goutte de lait.
Dans l’après-midi, Madame Marchal accompagnée de ses enfants, Georges et Christiane, âgés de sept et quatre ans environ, munie d’un petit baluchon, arrive chez mes grands-parents, Hubert et Justine Didier, dont la maison est sise au lieu-dit « le Châtelet ». Elle leur demande asile disant que la maison de ses parents à Petitmagny, visible depuis la route était beaucoup trop exposée. Cette femme avait une peur panique de la mort depuis qu’à l’âge de seize ans une gitane, dans une fête foraine, lui aurait prédit qu’elle mourrait dans la trentaine (en 1944 elle a trente deux ans).
Le restant de la journée se passe normalement. Le soir, mon grand-père met du foin dans la salle commune pour assurer le couchage de Louisette Marchal et de ses enfants.
Le 23 novembre, se passe sans incident. Madame Marchal aide efficacement ma grand-mère aux tâches ménagères. Pour ma part, je suis très heureux d’avoir un copain à la maison pour jouer. Dans l’après-midi, arrivent Madame et Monsieur Marconnais, deux personnes âgées, venant de leur maison située dans « Les Breuleux ». lls demandent aussi asile à mes grands-parents. Le soir, mon grand-père rajoute un peu de foin dans la salle commune pour les Marconnais et une petite veillée est même organisée. À I’extérieur, un changement s’est produit dans le bruit qui nous parvient des combats. Au son du canon que nous entendons régulièrement depuis fin septembre, sont venus s’ajouter les bruits des mitrailleuses lourdes et légères.
Le 24 novembre au matin, lever vers 7 h 30, petit déjeuner, toilette rapide. Dehors la pluie a cessé. Depuis la maison, nous dominons la route qui vient de Petitmagny. Je vois les Allemands s’agiter vers la cabine électrique à l’entrée du village.Vers 8h30, les Allemands lâchent une rafale de mitrailleuse lourde qui traverse le toit de notre maison à la hauteur de la
troisième rangée de tuiles sous le faîtage. Mon grand-père sort de la grange, regarde son toit et me dit de remplacer les tuiles. Il m’avouera plus tard avoir pensé à une fausse manœuvre des Allemands.
Je prends une échelle dans la grange et passe derrière la maison, à cet endroit le toit est à environ 1,50m du sol. Je prends deux tuiles dans la réserve, je grimpe à l’échelle lorsqu’une deuxième rafale est.tirée dans le toit.Je lâche tout et cours dans la maison, mon grand-père nous crie : « allez tous à la cave, il y a 2,50 m de foin au dessus nous serons à I’abri ».
Nous filons tous à la cave. Mon grand-père qui marchait difficilement rentre avec un peu de retard. A peine est-il entré dans la cuisine que nous entendons une grosse explosion et
sommes envahis par un nuage de poussière. Ma grand-mère crie « Hubert, Hubert… « , mon grand-père, très calme : « ne gueule pas je n’ai rien…foutez tous le camp dans le bois ».
Louisette Marchal et ma grand-mère sortent de la cave et attrapent chacune une couverture. Je pars avec mon casque (l’un des deux qui avaient été abandonnés pendant la débâcle de I 940 par deux soldats français de passage). Notre petit groupe comprend donc ma grand-mère et mon petit frère, Madame Marchal et ses deux enfants, et le couple Marconnais. Mon grand-père, marchant trop difficilement, doit nous rejoindre.
Nous montons en direction du bois par le pré bien à découvert alors que nous avions un chemin creux à quinze mètres environ ce qui nous vaut de nombreuses et longues rafales de mitrailleuses lourdes. Heureusement, seules les cimes des chênes et des hêtres en souffrent. Nous montons aussi longtemps que durent les tirs puis faisons une pause. Ma grand-mère, les Marconnais, mon petit-frère et la petite Christiane sont à bout de souffle.
Il faut se mettre à l’abri car une pluie très drue s’est mise de la partie. Connaissant bien le bois, je suggère de monter encore. Je connais une grosse pierre qui peut nous abriter de l’eau. Nous sommes donc arrivés à ce qui est maintenant « la Croix Marchal » où nous nous sommes tous écroulés complètement exténués.
Au bout de quelques minutes, Mme Marchal prit sa couverture. Elle se relève pour la déplier et installer ses enfants dessus, lorsqu’un obus éclate tout près de nous, nous couvrant de poudre…

(La suite dans : Souvenirs de la libération d’Etueffont, par Jacques Didier, page 13)

En passant par le Querty

Le chaume du Querty, dit aussi « chaume des Carrons », est situé sur les communes de Lepuix et Auxelles-Haut, s’étendant sur quinze hectares environ, aux alentours de 1000 mètres d’altitude.Au dessus d’Auxelles, sur le versant méridional de la Haute-Planche, à l’ouest de la Planche des Belles Filles, cette clairière offre une vue magnifique sur la Trouée de Belfort.
Vue de la plaine, c’est un point de repère marquant le début des Vosges comtoises.

L’origine du chaume est artificielle mais les avis divergent sur l’époque du défrichement qui a permis sa création. Selon certains, c’est une clairière défrichée au XVIème siècle et utilisée comme espace de fauche jusqu’au milieu du XXème siècle, ou comme lieu de pacage pour le bétail, une estive donc. Plus vraisemblablement, le défrichement forestier est récent, datant de la première moitié du XIXème siècle. L’époque était propice aux défrichements ; la « soif de terre » poussait alors les paysans à utiliser des espaces d’altitude. Les terrasses qui dominaient autrefois Etueffont sont un autre exemple local de cette conquête des hauteurs et piémonts vosgiens. Ces terres étaient peu fertiles et d’accès malaisé mais elles avaient un avantage : elles étaient disponibles. La crise de l’agriculture de montagne sera un des signes de l’évolution de l’économie agricole. Au pied des Vosges, les promeneurs peuvent découvrir au milieu de la forêt de nombreuses fermes en ruines. Le sort des clairières d’altitude est semblable. Ce sont les premières abandonnées par les paysans et très vite elles deviennent des friches puis sont gagnées par la forêt.
Dans notre région, seul subsiste le Querty, témoignant d’un monde rural révolu, espace cher au coeur des Quichelots qui le considèrent comme « leur chaume ». Le Querty est une « nature ordinaire » mais qui mérite d’être conservée en raison de son intérêt culturel, historique et paysager.
Le Querty se présente comme un nardion (pelouse d’altitude) entouré de forêts, futaies ou taillis sous futaies où le hêtre domine.. Sur la lisière, la forêt procure fraîcheur et ombrage et favorise ainsi le développement d’espèces envahissantes comme l’alisier blanc, le pommier sauvage, la potentille tormentille ou le viorne aubier. Au centre de la clairière, la pelouse accueille arnica des montagnes, pensée sauvage, fenouil des Alpes ou myrtille…
Si le chevreuil, le sanglier, le renard ou la martre fréquentent les lieux, c’est surtout les oiseaux qui constituent l’intérêt des lieux. Rougegorge, grive musicienne, pouillot siffleur, sittelle torchepot caractérisent le chaume. Des espèces protégées fréquentent également le site. Le grand tétras…

(La suite dans : En passant par le Querty, par Dominique Dattler, page 17)

Il y a cent ans, l’inauguration du monument Miclo à Grosmagny

Au départ il y a la guerre. Celle qui est déclarée le 19 juillet 1870 par l’Empire français de Napoléon lll au Royaume de Prusse de Guillaume. Rapidement, les Prussiens prennent le dessus. Dès le 6 août,le maréchal Mac Mahon est battu à Froeschwiller et perd I’Alsace. Le 2 septembre, à Sedan, l’armée française subit une défaite décisive et l’empereur est fait prisonnier. Deux jours plus tard la révolte gronde à Paris. Napoléon III est déchu, la République proclamée. Le nouveau régime organise la poursuite de la guerre qui s’achève par l’armistice du 26 janvier 1871.

Fin octobre 1870, l’armée prussienne s’avance vers Belfort. Deux corps s’apprêtent à encercler la place forte, l’un par le sud, Iongeant le Jura, l’autre par le nord emprunte la route au pied des Vosges. Le 1er novembre, elle est à Sentheim.
Le 2 novembre, au matin, les Prussiens se mettent en marche en direction de Giromagny. La progression prévue doit s’effectuer par Rougemont, Etueffont, Grosmagny. Dans la nuit, les Mobiles de la Haute-Saône et des Gardes nationaux des villages proches (Lachapelle-sous-Chaux, Chaux, Giromagny…) ont pris position sur les hauteurs de Grosmagny. La route qu’ils doivent défendre (la RD l2 d’aujourd’hui), à l’entrée de Grosmagny, a été minée, sa destruction devant ralentir la progression de l’ennemi.
Dans la matinée du 2 novembre, des Gardes nationaux, engagés imprudemment, subissent de lourdes pertes à Rougemont. Ils sont dispersés et laissent dix sept tués au Champ des Fourches où un monument rappelle aujourd’hui leur combat.
En fin de matinée, les Prussiens sont au contact des Mobiles devant Grosmagny. Les Français, environ 600 hommes, sont inférieurs en nombre, et ils ne disposent ni de canons ni de cavalerie. Surclassés, ils doivent rapidement battre en retraite laissant 27 morts et 17 blessés sur le terrain. Sur les lieux, I’abbé Miclo, vicaire à Etueffont-Haut, est blessé gravement à la poitrine. Transporté à la cure d’Etueffont, il y meurt le 14 novembre suivant.
Curieusement, il est mal aisé de connaître les circonstances exactes de la mort de l’abbé.
A l’entrée de Grosmagny, à l’emplacement où l’abbé serait tombé, un monument rappelle son sacrifice. Examinons-le. Le passant voit d’abord la plaque de bronze illustrant l’événement. A gauche : trois Prussiens, à droite deux ecclésiastiques. Côté droit : l’abbé Lacreuse, au second plan, et l’abbé Miclo au premier (il est le « héros » du drame). Côté prussien : au deuxième plan, un officier brandit son pistolet en direction des prêtres, au premier plan, un soldat (le héros « négatif ») braque son fusil sur la poitrine de Miclo qui s’effondre. Il n’y a aucune ambigüité sur le sens de la scène. Miclo, un religieux désarmé, est victime de la soldatesque barbare, il est face à un véritable peloton d’exécution. Cette impression est encore soulignée par l’inscription qui figure sur le socle du monument : « Ici fut tué par les soldats prussiens M. l’abbé Robert Miclo, vicaire à Etueffont, au moment où, avec son curé M. I’abbé Lacreuse, il venait assister les blessés du combat de Grosmagny, le 2 novembre 1870 ».
Le journal du Siège de Belfort, le 12 novembre, relate que l’abbé Miclo a été tué par une balle ennemie en conduisant à sa dernière demeure un « moblot ». Ce qui est inexact. A cette date, Miclo n’est pas encore mort !
Octave Chevalier dans le Bulletin de la Société Belfortaine d’Emulation (n°58 de 1952-1953) écrit à propos des combats de Grosmagny : « Des blessés sont achevés ; l’Abbé Miclo, vicaire à Etueffont-Haut qui avait été forcé, ainsi que M. le Curé Lacreuse, de marcher en tête de la colonne ennemie, fut frappé mortellement sur le terrain du combat où il prêtait le secours de son ministère aux blessés, par un officier prussien qui déchargea sur lui un coup de revolver. Un autre coup de feu fut tiré par le même forcené sur le curé qui évita la balle en se jetant brusquement de côté. » O. Chevalier écrit quatre vingts ans après les évènements et dramatise à outrance la scène. Il ne précise pas les raisons du coup de feu et, par la même, permet de supposer qu’il est délibéré d’autant que le tireur, un officier, est qualifié de forcené.
En juillet 1902, le journal « Le Ralliement », annonçant l’inauguration du monument, rappelle les circonstances dans lesquelles l’abbé Miclo fut blessé. Le 2 novembre, au matin, les abbés Lacreuse et Miclo, venant de célébrer la messe des morts à l’église d’Etueffont-Haut, croisent un peloton de cavaliers prussiens. Ceux-ci craignent les francs-tireurs. Les deux ecclésiastiques sont placés en tête des troupes. A Petitmagny, durant les combats ils sont en première ligne à genoux, ils prient. L’avance prussienne reprenant, les prêtres sont à nouveau mis en tête de la colonne qui s’engage sur le chemin miné à l’entrée de Grosmagny. Les mines font long feu. Les deux abbés sont alors libérés. Ils vont soigner les blessés et enterrer les morts. Pour avoir de l’aide, ils décident de se rendre à la cure de Grosmagny pour solliciter leur confrère. C’est alors qu’ils croisent un peloton de la Landwehr (troupe de réserve équivalente de la Garde Mobile française) Un officier tire sur Lacreuse et le rate. Un soldat tire sur Miclo et le touche à la poitrine.
Les soeurs dominicaines de Saint-Nicolas, quant à elles, dans le journal que tient la communauté, indiquent que les deux prêtres ont été pris pour des fuyards. Les religieuses ajoutent qu’elles ont visité I’abbé Miclo alors qu’il avait tous ses esprits et était soigné par un médecin prussien.
Comment est mort l’abbé Miclo et pourquoi ? …

(La suite dans : Il y a cent ans, l’inauguration du monument Miclo à Grosmagny, par Philippe Dattler, page 23)

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