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Table des matières

Processions d’autrefois à Saint-Germain-le-Châtelet

Bernard Groboillot

 2

Le culte à Auxelles-Bas – 2ème partie

Jules-Paul Sarazin

 9

Lachapelle en Alsace ou l’utilisation de l’histoire à des fins commerciales (1ère partie)

Yves Grisez

 16

ll y a 130 ans, la fin d’un siège

François Sellier

 22

L’indice de masculinité à la naissance à Leval aux 19ème et 20ème siècle

Jean de Zutter

 24

Les cloches de la discorde

François Sellier

 31

Il y a 100ans

François Sellier

 35

MAGAZINE

 

 

La résurrection de la croix

 

 38

Du côté du Vieux château de Rougemont

 

 40

La Vôge a lu

 

 41

Processions d’autrefois à Saint-Germain-le-Châtelet

Les calamités naturelles, mais surtout la grêle, ont de tous temps été la terreur des villageois puisqu’ils vivaient des produits de la terre. Les récoltes détruites et c’était la disette, voire la famine, pour une année, d’autant que cela était imprévisible et sans remède.

Jeudi on va à F’lon

A Saint-Germain, le 16 juillet 1733, la grêle qui survint abattit et brisa entièrement tous les fruits de la terre. Le 29 mars 1788, la grêle fut si violente qu’elle brisa toutes les vitres de l’église; leur remplacement coûta 50 livres bâloises au conseil de fabrique. Le 11 août 1836, violent orage de grêle aux Hauts Champs et des Cornay : tous les grains et les fruits sont détruits. Ces quelques exemples ont été inscrits dans les registres à cause de l’importance des dégâts, mais il y avait certainement, comme aujourd’hui, des orages de grêle presque chaque année. Alors quoi faire ? Quels remèdes pour se préserver de cette calamité ? Eh bien les gens imploraient le Ciel par des prières, des messes et des processions.
Les habitants de Saint-Germain – Bethonvilliers, conseillés par leur curé avaient fait le voeu d’aller chaque année le jeudi de la Fête-Dieu en procession au village voisin de Felon pour y célébrer la messe et cela à perpétuité, espérant par leurs prières et leur dévotion, épargner le village du fléau de la grêle. Rassemblant mes souvenirs, je vais donc décrire le déroulement de cette procession annuelle à laquelle j’ai participé dans ma jeunesse et aussi par les dires des anciens.

Le jeudi, jour de la Fête-Dieu, était un jour férié à Saint-Germain. Le tissage tournait au ralenti, le directeur ayant donné congé aux ouvriers qui le désiraient. Bien sûr, tous les paysans de Saint-Germain et de Bethonvilliers étaient présents. Même les commerçants, ce jour là, fermaient le magasin.
A huit heures, rassemblement à l’église. La journée commence par des prières. Puis le cortège se forme, à l’avant, trois servants portent la croix, ils se relaieront tout au long du parcours. Puis les enfants. Ils sont tous là puisque à cette époque il n’y avait pas classe le jeudi. Ensuite les dames, enfin les hommes. Tous marchent de chaque côté de la route.
Au milieu, le prêtre en aube et surplis avec le choeur de chant, soit une douzaine de personnes. Le cortège occupe toute la largeur de la route sans être dérangé par les voitures (dans les années trente, il n’y avait pas circulation). Les enfants récitent le chapelet tandis que le prêtre et la chorale entonnent des cantiques. Les servants de tête, porteurs de croix, avaient reçu l’ordre de marcher lentement, d’un pas lent et recueilli.
À l’entrée du village de Felon, quelques jeunes gens quittent le cortège et courent à l’avant pour sonner les cloches. Les cloches de Felon sont plus petites et n’ont pas la belle sonorité de celles de Saint-Germain, on les appelait les  » quinpênes  » (en patois: cloches que l’on met au cou des vaches). Le jour de la procession, il est de tradition, pour les jeunes gens, de tirer vigoureusement sur les cordons pour essayer de les casser. Dans le village, on ne voit personne ce jour là, les gens de Felon ne sortent pas. L’église est trop petite pour contenir tout ce monde et certains hommes sont bien contents de rester dehors. Grand messe chantée avec ferveur et exposition du Saint-Sacrement. En sortant, les anciens évoquent l’heureux temps où il y avait des marchands ambulants pour accueillir les pèlerins, marchands de chapelets bien sûr, mais aussi divers étalages : charcuteries, saucisses chaudes, beignets, bonbons et autres friandises.
Dans les années trente sitôt la messe terminée, Monsieur le curé va déjeuner chez son confrère I’abbé Marchand (C’était encore l’époque où les prêtres devaient être à jeun pour dire la messe). Alors, tout le monde s’engouffre dans l’unique café du village, chez Amédée Heidet, plus familièrement « chez la Barbe ». Pour cette occasion, la patronne a prévu grand, il y a des tables dans toutes les pièces du rez de chaussée. Mais certaines années cela ne suffit pas, il faut mettre aussi des tables dans les chambres du premier étage. Quel brouhaha dans cette maison ! Quant aux consommations, c’est très simple : vin blanc à la grenadine pour tout le monde et ce jour là, les dames boivent aussi leur petit coup ! Après avoir déjeuné Monsieur le curé vient nous rejoindre au café et paie aussi sa tournée.
Vers onze heures, rassemblement devant l’église, mais le curé a bien des difficultés pour rassembler son monde. Ayant bu aussi du vin, les enfants de choeur sont turbulents. Quand le cortège est à peu près formé c’est le retour à Saint-Germain. Avec la chaleur du jour et puis aussi le petit coup de blanc, il n’y a plus la même ferveur qu’à l’aller, les gens traînent les pieds, certains hommes restent très en arrière. Arrivé au village quelques dames quittent le cortège et rentrent chez elles pour faire la soupe. La procession entre dans l’église : salut du Saint Sacrement puis dislocation.
« Cette année, il y avait beaucoup de monde, on ne sera pas grêlé ! »
Le vendredi suivant, jour du Sacré-Coeur, ce sont les gens de Felon qui…

(La suite dans : Processions d’autrefois à Saint-Germain-le-Châtelet, par Bernard Grosboillot, page 2)

Lachapelle en Alsace ? Ou l’utilisation de l’histoire à des fins commerciales (1ère partie)

« Lachapelle-sous-Rougemont, commune du Territoire de Belfort, est située dans l’ancienne province d’Alsace et a fait partie du Sundgau ». C’est par ce motif que la 2ème Chambre civile de Ia Cour d’appel de Colmar a, dans un arrêt rendu Ie 13 décembre 1957, autorisé la Société anonyme « Brasserie de Lachapelle » à utiliser l’appellation  » Bière d’Alsace », sur ses étiquettes et son matériel publicitaire. Cette décision, qui n’a pas fait l’objet de la part des adversaires de la Brasserie de Lachapelle, d’un pourvoi en cassation, eut à l’époque un retentissement considérable au sein de la profession brassicole. Il nous a paru intéressant, quelque cinquante années après qu’ait été déclenchée cette affaire, unique dans les annales judiciaires régionales, d’en retracer les origines ainsi que les principaux épisodes. Dans un premier temps, Yves Grisez, évoque les débuts de  » l’affaire des procès des bières d’Alsace.

La situation de l’industrie brassicole après la guerre

La situation de cette industrie est marquée par une crise très importante due, notamment, à une sévère pénurie de matières premières qui avait conduit les brasseries françaises à fabriquer des bières extrêmement légères dont la clientèle se détourna lors du retour du vin sur le marché. Au plan national, les ventes de bières chutèrent dans des proportions que l’on peut qualifier de vertigineuses et quantité de brasseries, petites et moyennes, furent contraintes de cesser toute activité. Cette crise brassicole dura plusieurs années. Elle fut peu connue de l’opinion publique qui était alors davantage sensibilisée par la crise de l’industrie textile qui employait une main d’oeuvre nombreuse à la différence de l’industrie brassicole.
Dans le Territoire de Belfort subsistaient en 1950 deux brasseries d’importance relativement semblable: la Brasserie Wagner de Belfort et la Brasserie de Lachapelle, toutes deux adhérentes au Syndicat des Brasseurs de l’Est, groupement professionnel dont le siège était situé à Nancy. Si la Brasserie de Lachapelle était demeurée, en dépit des vicissitudes, une brasserie entièrement indépendante, à caractère familial, la Brasserie Wagner, quant à elle, avait rejoint depuis plusieurs décennies, le  » Groupement des Brasseries et Malteries de Franche-Comté-Alsace « . Elle était même devenue une filiale de la Brasserie de Sochaux et, par ce biais, elle se trouvait alors en relation permanente avec la Brasserie de Lutterbach (la Brasserie Wagner fermera ses Portes en 1954).

Ce bref rappel de I’histoire brassicole régionale permet de mieux appréhender l’isolement total dans lequel se trouvera la Brasserie de Lachapelle lorsqu’il s’agira pour celle-ci de  défendre sa clientèle. Quelle était la nature du danger ? D’où venait-il? Il était de tradition que les brasseurs français respectent, bon gré, mal gré, l’existence de zones d’influence commerciale déterminées de manière tacite. Ainsi, depuis le début des années 1920, la zone de distribution des produits de la Brasserie de Lachapelle comprenait, outre le département de Belfort, la partie sud du Haut-Rhin, la partie orientale de la Haute-Saône ainsi qu’une infime partie du Doubs, puisque celui-ci se trouvait sous l’influence des Brasseries de Sochaux, Besançon et Morteau.
Or, après la dernière guerre, les fabrications des brasseries bas-rhinoises et haut-rhinoises connurent, de la part des consommateurs français, un véritable engouement qui permit à ces brasseries de renforcer considérablement leur influence dans la plupart des régions de France. Alors que la plupart des brasseries  » de I’intérieur  » étaient contraintes de fabriquer des bières légères en raison des restrictions d’approvisionnement qui perduraient, les brasseurs adhérant au syndicat de Strasbourg décidèrent en I 948 de ne plus brasser que des bières de qualité titrant 5 degrés et davantage. Parallèlement à cette décision, le syndicat professionnel strasbourgeois procéda, en 1945-1950, au dépôt légal de l’appellation  » Bière d’Alsace « , ainsi qu’à celui du signe distinctif reproduisant les armes de l’ancienne province d’Alsace. Le label constitué de la réunion des mots  » Bières d’Alsace  » et de la reproduction de l’écusson alsacien avait pour objet de garantir à l’acheteur une fabrication dont la qualité se trouvait certifiée par le Syndicat des Brasseurs d’Alsace.
Pour de nombreux consommateurs, l’apparition de la dénomination  « Bière d’Alsace » correspondait à une véritable nouveauté qui assurait la qualité du produit. En effet, cette appellation n’avait jamais été utilisée avant la dernière guerre. Les brasseurs des deux départements rhénans n’utilisant pas, à cette époque, le vocable et commercialisant leurs fabrications sous l’appellation de leur lieu d’origine. Les initiatives prises par les brasseries bas et haut-rhinoises furent rapidement couronnées de succès. La vente des bières produites par les industriels adhérant au syndicat strasbourgeois connut une véritable explosion. Le secteur sous-vosgien ne fit d’ailleurs pas exception puisqu’à Rougemont-le-Château, c’est-à-dire dans le secteur de la vente dite « directe » de la Brasserie de Lachapelle, fut créée un important dépôt de bières strasbourgeoises.
Du fait de sa situation géographique, la Brasserie de Lachapelle se trouvait, en quelque sorte, prise en tenaille entre la Brasserie de Lutterbach et celles de Sochaux-Wagner. En 1954, celle de Sochaux n’avait-elle pas « raflé » à celle de Lachapelle  » la plupart des cafés importants de Belfort  » ? La clientèle haut-rhinoise de la Brasserie de Lachapelle avait été  difficilement reconquise en I 945 et une dizaine de dépôts avaient été réinstallés dans ce secteur. Il ne fallait pas être grand clerc pour prévoir que l’utilisation par les brasseries des deux départements du Rhin de l’appellation et de l’écusson d’Alsace à laquelle s’ajoutait l’engouement général dont bénéficiaient leurs productions, allait provoquer, inexorablement, une évaporation importante de la clientèle de la Brasserie de Lachapelle et, en particulier, de la clientèle haut-rhinoise.

L’audace de la Brasserie de Lachapelle

(La suite dans : Lachapelle en Alsace ou l’utilisation de l’histoire à des fins commerciales, par Yves Grisez, page 16)

Souvenir de la libération d’Etueffont

Jacques Didier a 12 ans en 1944. Il se souvient des journées dramatiques de la libération d’Etueffont-Haut. Les combats firent rage et on dénombra plusieurs victimes civiles dont Louisette Marchal, réfugiée chez ses grands-parents.

Le 22 novembre 1944 vers 7h30, comme tous les jours, je pars au village descendre huit litres de lait, un bidon de quatre litres dans chaque main.Je prends rarement le chemin le plus court pour aller au village. Je décide ce matin là de prendre le sentier qui passe au bout des hauts champs et qui débouche vers le cimetière. A la sortie d’une courbe, je suis accueilli par une rafale de mitrailleuse légère. Demi-tour et fuite. Je reviens à la maison en un temps record mais…sans avoir renversé une goutte de lait.
Dans l’après-midi, Madame Marchal accompagnée de ses enfants, Georges et Christiane, âgés de sept et quatre ans environ, munie d’un petit baluchon, arrive chez mes grands-parents, Hubert et Justine Didier, dont la maison est sise au lieu-dit « le Châtelet ». Elle leur demande asile disant que la maison de ses parents à Petitmagny, visible depuis la route était beaucoup trop exposée. Cette femme avait une peur panique de la mort depuis qu’à l’âge de seize ans une gitane, dans une fête foraine, lui aurait prédit qu’elle mourrait dans la trentaine (en 1944 elle a trente deux ans).
Le restant de la journée se passe normalement. Le soir, mon grand-père met du foin dans la salle commune pour assurer le couchage de Louisette Marchal et de ses enfants.
Le 23 novembre, se passe sans incident. Madame Marchal aide efficacement ma grand-mère aux tâches ménagères. Pour ma part, je suis très heureux d’avoir un copain à la maison pour jouer. Dans l’après-midi, arrivent Madame et Monsieur Marconnais, deux personnes âgées, venant de leur maison située dans « Les Breuleux ». lls demandent aussi asile à mes grands-parents. Le soir, mon grand-père rajoute un peu de foin dans la salle commune pour les Marconnais et une petite veillée est même organisée. À I’extérieur, un changement s’est produit dans le bruit qui nous parvient des combats. Au son du canon que nous entendons régulièrement depuis fin septembre, sont venus s’ajouter les bruits des mitrailleuses lourdes et légères.
Le 24 novembre au matin, lever vers 7 h 30, petit déjeuner, toilette rapide. Dehors la pluie a cessé. Depuis la maison, nous dominons la route qui vient de Petitmagny. Je vois les Allemands s’agiter vers la cabine électrique à l’entrée du village.Vers 8h30, les Allemands lâchent une rafale de mitrailleuse lourde qui traverse le toit de notre maison à la hauteur de la
troisième rangée de tuiles sous le faîtage. Mon grand-père sort de la grange, regarde son toit et me dit de remplacer les tuiles. Il m’avouera plus tard avoir pensé à une fausse manœuvre des Allemands.
Je prends une échelle dans la grange et passe derrière la maison, à cet endroit le toit est à environ 1,50m du sol. Je prends deux tuiles dans la réserve, je grimpe à l’échelle lorsqu’une deuxième rafale est.tirée dans le toit.Je lâche tout et cours dans la maison, mon grand-père nous crie : « allez tous à la cave, il y a 2,50 m de foin au dessus nous serons à I’abri ».
Nous filons tous à la cave. Mon grand-père qui marchait difficilement rentre avec un peu de retard. A peine est-il entré dans la cuisine que nous entendons une grosse explosion et
sommes envahis par un nuage de poussière. Ma grand-mère crie « Hubert, Hubert… « , mon grand-père, très calme : « ne gueule pas je n’ai rien…foutez tous le camp dans le bois ».
Louisette Marchal et ma grand-mère sortent de la cave et attrapent chacune une couverture. Je pars avec mon casque (l’un des deux qui avaient été abandonnés pendant la débâcle de I 940 par deux soldats français de passage). Notre petit groupe comprend donc ma grand-mère et mon petit frère, Madame Marchal et ses deux enfants, et le couple Marconnais. Mon grand-père, marchant trop difficilement, doit nous rejoindre.
Nous montons en direction du bois par le pré bien à découvert alors que nous avions un chemin creux à quinze mètres environ ce qui nous vaut de nombreuses et longues rafales de mitrailleuses lourdes. Heureusement, seules les cimes des chênes et des hêtres en souffrent. Nous montons aussi longtemps que durent les tirs puis faisons une pause. Ma grand-mère, les Marconnais, mon petit-frère et la petite Christiane sont à bout de souffle.
Il faut se mettre à l’abri car une pluie très drue s’est mise de la partie. Connaissant bien le bois, je suggère de monter encore. Je connais une grosse pierre qui peut nous abriter de l’eau. Nous sommes donc arrivés à ce qui est maintenant « la Croix Marchal » où nous nous sommes tous écroulés complètement exténués.
Au bout de quelques minutes, Mme Marchal prit sa couverture. Elle se relève pour la déplier et installer ses enfants dessus, lorsqu’un obus éclate tout près de nous, nous couvrant de poudre…

(La suite dans : Souvenirs de la libération d’Etueffont, par Jacques Didier, page 13)

Il y a 130 ans : la fin d’un siège

13 février 1871, 8 heures et demie du soir. Le silence, enfin. Il était temps…
La population belfortaine et la garnison sont épuisées. Le siège de Belfort aura duré 103 jours ! Le commandant Denfert Rochereau est autorisé à consentir à la reddition de la place avec cette clause : « La garnison sortira avec les honneurs de la guerre et emportera les archives de la place, elle ralliera le poste français le plus voisin. »
Cinq jours plus tard, les troupes allemandes pénètrent dans la ville par la porte de Brisach. L’occupation durera jusqu’en août 1873.
Cette page de l’histoire de Belfort est bien connue; le vécu des gens du Pays-sous-Vosgien durant ces moments noirs l’est sans doute beaucoup moins.
C’est la raison pour laquelle, à l’occasion du « 130° anniversaire » de la levée du siège de Belfort, nous vous proposons des extraits de deux lettres écrites par un jeune homme de Giromagny, Charles Crave, qui avait une quinzaine d’années au moment des faits. Ces lettres ont été publiées intégralement dans la « Revue d’Alsace » en 1935.
Le premier écrit du jeune Crave, adressé à son oncle, est daté du 26 décembre 187l. Il raconte en détail l’arrivée des uhlans à Giromagny, le combat du 2 novembre 1870 à Grosmagny, la déroute de I’armée de Bourbaki, mais nous nous contenterons de vous livrer la fin de la lettre, quand après le traité de Francfort (10 mai 1871) le jeune homme sait qu’il restera français.
(… Si par malheur cette ville n’avait pas soutenu courageusement le siège, nous serions Prussiens… Nous avons été longtemps dans l’incertitude après Belfort débloqué, ne sachant pas si nous ferions partie de la Prusse ou si nous serions Français…
Un beau jour, un gendarme fronçais vint nous annoncer que nous étions François grâce à Belfort, et trois jours après Ia brigade de Giromagny arrive sur le soir; le lendemain matin, on ne sait comment ils ont disparu, mais il n’y avait plus ni gendarme prussien, ni sous-préfet, ni percepteur-armurier. Belfort a donc été débloqué le 13 février. A partir de ce jour, les Prussiens ont quitté Giromagny. Il ne nous restait plus que l’ambulance, qui peu à peu est partie ; mais fréquemment il arrivait des colonnes, que l’on était obligé de loger; à présent encore il en vient se promener, et aussitôt qu’on les voit on a des coliques.
Pour tout le Haut-Rhin nous sommes maintenant 4 cantons. Vous ne pourriez vous imaginer quel tracas il y a eu à la mairie. Le maire ne pouvait plus tenir. Aussi tous les jours il y avait un conseiller pour aller remplacer le maire. Vous pensez quels tourments ils ont endurés. Mon papa, qui est du Conseil, y a passé quinze longues journées…
Pour le moment, tout va assez bien à Giromagny, quoi qu’on se ressente encore d’avoir eu des Prussiens. Cet hiver, la petite vérole a beaucoup régné à Giromagny ; maintenant nous avons un froid de 21 degrés, ce qui n’a pas eu lieu depuis environ un siècle…
Le 2 août 1873, l’occupant quitte Belfort tandis que les Alsaciens arrivent en masse dans le tout nouveau  » Territoire de Belfort « . C’est ce que nous raconte la deuxième lettre de Charles Crave, écrite à Giromagny le 29 décembre 1873. Extraits :
… Vous savez que la ville de Belfort a construit une cité pour les Alsaciens-Lorrains qui arrivent toujours en grand nombre, mais malgré cela les villages environnants se remplissent.
Giromagny est devenu tellement populeux que c’est à ne plus s’y reconnaître. Les maisons ont toutes changé d’aspect. Tous les jours on voit arriver des familles alsaciennes toutes en noir, en deuil, car il est impossible de rester en Alsace.
A présent tout devient cher, le commerce est complètement altéré, les plus grands établissements d’Alsace sont tous fermés ; un grand nombre émigrent avec tout leur matériel. Le vin acquiert un prix énorme, car si l’on veut entrer du vin en Alsace, les…

(La suite dans : Il y a 130 ans : la fin d’un siège, par François Sellier, page 22)

Les cloches de la discorde

Les cloches ont un langage. Elles traduisent Ia liesse, la peine, la ferveur, le souvenir et parfois elles sèment la discorde…

Il n’est d’émotion collective qui implique un recours à la sonnerie des cloches. On les a même entendues sonner à toute volée dans bon nombre de communes lors de la victoire des footballeurs français en coupe du monde. C’est tout dire…
La cloche est tout simplement symbole de vie. Depuis des siècles, elle allie le sacré au profane. Elle rythme, elle alerte, elle célèbre, elle baptise, elle marie, elle enterre, ajoutant à chaque fois une puissance émotionnelle dont elle seule est capable.
Instrument privilégié de communication, la cloche fait partie intégrante du paysage sonore d’un lieu. C’est pourquoi, au siècle dernier, on vit des conseils municipaux vendre une coupe de bois ou une parcelle de terre communale pour pouvoir s’offrir leurs cloches. La dépense est alors toujours considérée unanimement indispensable.
La cloche est communautaire. Gare à celui qui transgresserait (même involontairement) ce postulat !
Récemment, à Rougemont, d’aucuns se sont indignés par presse interposée, du silence prolongé des cloches. Elles s’étaient tues un certain 26 décembre 1999 quand un vent venu d’ailleurs avait ébranlé leur perchoir.
À Rougemont, le maire actuel est plutôt catho et les protestataires pas vraiment des calotins… Jadis c’était plutôt le contraire qui engendrait la dispute… Comme quoi le son des cloches n’a pas de couleur…
L’incident rougemontois est aujourd’hui clos. Les belles de fonte se sont remises à chanter. Moralité de l’histoire: même muettes les cloches continuent à faire du bruit !
Ainsi donc, la cloche tellement faite pour rassembler, parfois divise…
Ce sont quelques uns de ces conflits de clochers qui ont marqué notre paysage rural au cours du XIXème siècle, que nous vous livrons ici.

Guerre de religion

Nous sommes à la fin du mois de janvier 1837 à Giromagny. Avec la « permission tacite » du maire, quelques jeunes gens du village sonnent à toute volée les cloches de l’église catholique pour marquer les obsèques d’une femme… protestante ! Le curé, atterré, va se plaindre au Procureur général de la Cour royale de Colmar et en réfère au Garde des Sceaux ministre de la Justice et des Cultes. Lequel adresse une réponse sans équivoque : « Les cloches comme tous les objets consacrés au service d’un culte ne peuvent être légitimement employées ou service d’un culte étranger.  » Et pour que ce soit bien clair : « On sait tous les graves inconvénients qu’il y aurait à s’écarter (de ce principe) sous quelque principe que ce soit. La bonne harmonie qui doit régner parmi les populations mixte, tient surtout au respect réciproque des droits de chaque culte.  » Dont acte…

Chahut nocturne

Juillet 1849. La révolution de 1848 a engendré la seconde République. Même si cette république est plutôt conservatrice, les catholiques sont sur la réserve pour ne pas dire sur la défensive ; n’oublions pas que le mouvement ouvrier des  » rouges  » est en train de s’organiser.
À Auxelles-Haut, le maire et le curé sont en conflit « En conflit ouvert ». A tel point que le curé a pris pour habitude de barricader la porte de l’église, le soir venu. Sa démarche ne consiste pas à se garantir des voleurs, elle est plus subtile. Elle vise en fait à empêcher l’agent de police municipal et ses gardes nationaux de sonner la retraite, c’est à dire de sonner la fermeture des cabarets du village. Ainsi donc, aux soirs des 21 et 22 juillet 1849, les noctambules ont tout loisir de festoyer et quand, faute d’avoir pu sonner la cloche, les agents
de la force publique font le tour des auberges pour les expulser, il leur est répondu simplement que la retraite n’a pas sonné… Pire, on crie, on hurle, on se bat même. La nuit durant.
Ce ne peut être que les amis du curé ! On dit même que le principal meneur serait l’instituteur’ C’était au temps où les curés et les instituteurs étaient encore dans le même camp…

Question de droit et… de poids

La polémique née en 1854 à Auxelles-Bas est très révélatrice des incroyables controverses que peut engendrer une simple sonnerie de cloches.
« C’est la douleur dans l’âme et les larmes aux yeux » qu’un paroissien écrit sa plainte au préfet.
Il est d’usage dans la commune de sonner quelques temps, une fois par jour, lorsqu’un parrain ou marraine de cloche décède. La belle-mère du plaignant étant marraine d’une cloche, les dimanche et lundi on a sonné  » sans bruit  » (sic) mais le mardi, le garde-champêtre, aux ordres du maire, fait cesser la sonnerie. Il aurait même arraché la corde des mains de ceux qui sonnaient, les menaçant d’un procès verbal ! Le maire, lui, prétend qu’au lendemain de l’inhumation de la défunte, les trois cloches ont sonné « avec une rapidité effrayante » plongeant ainsi la commune d’Auxelles-Bas dans un profond émoi… pour recommencer le jour suivant. C’en était trop ! D’ailleurs le maire est sûr de son bon droit : la cloche dont la défunte était marraine a été refondue à Thann par l’entreprise Bender frères pour en faire une nouvelle de 1000 kilos alors qu’à I’origine elle ne pesait que 300 kg !
Mieux, à nouvelle cloche nouveaux parrain et marraine, le nom de la défunte ne figure donc même plus sur la nouvelle cloche ; ses droits se sont fondus avec la cloche en somme…
« Peut-être pas un gramme de métal de l’ancienne cloche n’est entré dons la composition de la nouvelle ! » ll était donc tout a fait légitime que le maire fit cesser la sonnerie.
L’histoire pourrait s’arrêter là, mais le quatrième jour les cloches se remettent à sonner. Cette fois c’est le curé qui met le holà, voyant dans cette sonnerie plus une provocation qu’un véritable appel à la prière. Et il fait fermer la porte du clocher…

En marge de cette histoire

Même si les cloches ont cessé de sonner le deuil de cette défunte marraine, le rapport de la police des cultes révèle une autre histoire, plus ancienne, qui jette le discrédit sur ce
plaignant d’Auxelles-Bas. « Il s’avère en plus gue le sieur plaignant est le gendre du père du curé d’Evette !  » (N.D.L.R.: autrement dit le beau-frère du dit curé, sauf erreur…) Et ce curé a fait parlé de lui en 1830, lors d’une revue de la Garde nationale à Giromagny en criant « A bas le maire d’Auxelles-Bas… »
S’ensuit tout un réquisitoire contre cette famille, coupable selon ce rapport, de nombreux méfaits commis à l’encontre de la commune d’Auxelles-Bas. De drôles de paroissiens en somme… Mais le résultat est là : en date du 20 septembre 1854, le préfet de Belfort juge la plainte non fondée ! Est-ce suffisant pour calmer les esprits ?

Pas manchot, le curé

Toujours à Auxelles-Bas, en août 1858 cette fois, le curé aurait fortement secoué… l’instituteur ! Le commissaire de police de Giromagny adresse un rapport au préfet pour lui signifier les faits. Le jeune instituteur a pour habitude de sonner la petite cloche de l’église pour signaler l’heure de la rentrée à ses élèves. C’est ce qu’il tente de faire le 17 août à 8 heures. La messe du matin est terminée mais le curé est encore dans l’église, et prétend que l’heure de l’école a déjà sonné. L’instituteur, lui, prétend le contraire et en tous cas affirme ne pas avoir donné l’ordre de sonner à sa place. Alors la discussion s’envenime. Traitant le maître d’école de polisson, le curé veut l’éconduire. Il lui donne des bourrades dans l’estomac et le pousse hors de l’église, de la nef jusqu’au cimetière, tout en le traitant de polisson.
L instituteur, de constitution plus chétive que la curé, ne peut rien faire sinon…

(La suite dans : Les cloches de la discorde, par François Sellier, page 31)

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