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Table des matières

Le Ballon d’Alsace, premier sommet du Tour de France

François Sellier

4

Rodolphe Sommer (roman) 9 – L’épidémie

Pierre Haas

31

MAGAZINE

 

 

Sainte Barbe à Rougegoutte

 

35

Le tissage du métal

 

36

Une croix de mission à Felon

 

37

Des chauves-souris à l’église de Rougemont

 

 

Le Ballon d’Alsace, premier sommet du tour de France

En 1905, à l’annonce du passage du Tour de France cycliste dans les Vosges – et suprême audace – de son passage au BaIIon d’Alsace, chacun se demande gravement comment les coureurs parviendront à se hisser, à bicyclette, jusqu’au faîte du mythique sommet vosgien.

Le Tour de France cycliste, malgré les trucages de ses deux premières éditions, doit vivre ! (voir encadré : La guerre des marques de cycles)

Une presse locale discrète

Avant de regarder en détail les exploits des « Géants « du Tour sur nos routes vosgiennes, il est bon de s’attarder quelques instants sur l’impact médiatique local d’une telle manifestation sportive.
Etonnant ! La « plus grande épreuve de vulgarisation qu’un sport n’ait jamais Pressentie » est relaté discrètement par la presse locale surtout lors des premières éditions. La Frontière, journal radical-socialiste, consacre au premier passage du Tour en 1905, cinq fois moins de lignes qu’au concours de pêche de Giromagny… Quant au Ralliement, républicain modéré, il passe tout simplement l’événement sous silence.
Le très conservateur Journal de Belfort est tout aussi discret, il ne dit pas un seul mot sur la première arrivée d’étape à Belfort en 1907. Les seuls à annoncer puis à développer substantiellement l’événement sont l’Alsace (conservateur) et le Haut-Rhin Républicain et encore, de manière inégale suivant les années. Quant aux étapes qui suivent le passage à Belfort, elles sont généralement ignorées.
Le passage au sommet du Ballon d’Alsace n’est relaté que très succinctement et, la plupart du temps, les commentaires sont puisés dans le journal l’Auto, organe officiel de la course. Il est vrai que les journalistes locaux n’ont pas  forcément les moyens de se rendre en montagne, à 25 km de Belfort pour commenter une compétition sportive qui intéresse – comme ils aiment à la rappeler – essentiellement les « sportmen ». Une affaire de spécialistes en somme ; exemple cette phrase du Haut-Rhin Républicain en 1909 :  » Je ne détaillerai pas Ia formidable épreuve, tous les sportmen belfortains étant suffisamment imprégnés de la lecture de I’Auto qui organise Ia course et qu’on voyait ces jours derniers dans toutes les mains.  » Autre fait significatif parmi d’autres : aucun mot sur l’inauguration de Ia stèle érigée en l’honneur de Pottier au sommet du Ballon d’Alsace en 1908 où pourtant les coureurs ont été conduits en voitures au lendemain de leur arrivée à Belfort. En 1913, alors que l’épreuve a pris une énorme dimension, La Frontière consacre seulement cinq petites lignes à I’arrivée à Belfort ; il faut dire que nous sommes alors en pleine campagne électorale des cantonales…
Bref, nous sommes loin de l’effet médiatique d’aujourd’hui…

Pourtant le Tour de France qui passera chaque année à Belfort de 1905 à 1914 nous a laissé quelques traces de son passage que nous nous proposons de revivre dans les lignes qui suivent.

Année 1905

Le Tour de France est allongé de 600 km par rapport aux deux premières éditions. II est couru du 9 au 30 juillet sur une distance de 2975 kilomètres répartis en 71 étapes, Et, suprême audace, il s’attaque au Ballon d’Alsace !
La première étape qui se dispute entre Paris et Nancy (340 km) s’annonce mal. Une grande partie du parcours est semée de clous, la plupart des concurrents comptent au moins dix crevaisons. On envisage déjà d’annuler l’épreuve…
Trousselier dit Trou-Trou, récent vainqueur de Paris-Roubaix, l’emporte à Nancy.
La deuxième étape conduit les coureurs de Nancy à Besançon via Epinal-Remiremont Saint-Maurice-Le Ballon d’Alsace – Belfort – MontbéIiard soit 295 km.

Le Ballon, premier sommet du Tour !

Le départ de Nancy est donné à 2h30 du matin, le mardi 11 juillet. Encore plus que la veille, la première partie du parcours est semée de clous que Ies gamins ramassent par poignées. On dit même que du côté d’Epinal une voiture aurait été interceptée avec une centaine de kilos de clous à l’intérieur… Presque tous les concurrents ont crevé, sauf les trois premiers…

À 6h10 le peloton de tête est à Epinal. Légère désillusion pour les spectateurs belfortains qui attendaient les premiers vers 8h30-9h. Il faudra donc encore attendre mais qu’importe, il y a matière à discussion, surtout que le Ballon d’Alsace reste à gravir. Vont-ils le passer à vélo ou à pied ? La majorité penche pour la seconde solution. C’est mal connaître la valeur de René Pottier qui lâche successivement Trousselier, Georget, Aucouturier et Cornet. Il grimpe à 20 à I’heure, stupéfiant les trois seuls suiveurs en voiture !
Ce 11 juillet 1905, le premier sommet de l’histoire du Tour de France est vaincu, et de quelle manière ! (Est-il besoin de préciser que les vélos de l’époque n’ont pas de dérailleur) Giromagny est traversée en trombe malgré le marché. Une foule nombreuse encombre les rues, les contrôleurs ont toutes les peines du monde à frayer un passage aux coureurs.
La descente du Ballon est marquée par la chute… d’un motocycliste, un coiffeur de Belfort qui avait été à la rencontre de la course : « il a les hanches démises et les cuisses fracturées. « 

Devant I’Hôtel de I’Ancienne Poste

Dès 8 heures à Belfort, environ 300 personnes ont envahi les abords de l’Hôtel de I’Ancienne Poste où se tient le contrôle de passage des coureurs. Les commissaires de course sont MM Chaussin fils correspondant de I’Auto à Belfort, Jules Wolf président du Cycle Belfortain et Alfred Cerf président des Sports Réunis. La foule devient plus nombreuse encore. Henri Desgranges et Victor Breyer respectivement directeur et rédacteur de l’Auto, arrivent en automobile pour inspecter le point de contrôle. Quelques mètres plus loin on remarque un étalage de provisions, de boissons diverses, de Pneumatiques. Ils sont réservés aux coureurs équipés de machines Peugeot.
Il est 9h30. Les contrôleurs prennent leur poste à Offemont, au Martinet, à tous les carrefours. 9h53 : coup de clairon d’un  » Touriste Belfortain  » posté quai Vauban. C’est René Pottier qui arrive en trombe au milieu d’une foule en liesse qui lui barre presque le passage,  » il signe d’une main ferme et va se rafraîchir à Ia buvette spéciale organisée par la Maison Peugeot pour tous ceux qui courent sur machine de cette marque.  »
9h55, Aucouturier arrive très frais, s’arrête un minimum de temps et se remet en chasse de Pottier. Deux minutes plus tard, c’est Trousselier qui pointe au contrôle. Il s’arrose d’un bon seau d’eau, on lui verse de l’eau dans sa casquette dont il se recoiffe aussitôt au milieu des rires de la foule.
Ces trois hommes montent des bicyclettes Peugeot, excellente publicité pour la firme voisine de Belfort !
Petit-Breton passe en neuvième position à 10h32.

Incidents à Châtenois et à Montbéliard

À Châtenois, Pottier le héros du Ballon d’Alsace est heurté par un cycliste local qui l’accompagnait. Sa roue arrière est brisée. Impossible de continuer, il pleure de rage.
Miracle, un employé de la maison Terrot lui prête sa machine, il a encore un kilomètre d’avance. Pottier retrouve une bicyclette de course à Montbéliard où les trois premiers se regroupent et… chutent, mais sans dégâts.
Le 33e et dernier coureur qui passe à Belfort, Desvages pointe à 18h21 alors que le contrôle doit fermer à 19 heures. A cette heure Aucouturier, vainqueur de l’étape est déjà arrivé à Besançon depuis bien longtemps !

Le Tour de France 1905 qui a connu Ia montagne pour la première fois (après le Ballon d’Alsace, Ia côte de Laffrey et le col Bayard) est remporté par Louis Trousselier sur cycle Peugeot à Ia moyenne générale de 27,284 km/h.

Année 1906

Le parcours du Tour 1906 est considérablement allongé : 4637 km ! La grande surprise est I’incursion faite, Iors de Ia deuxième étape Lille-Nancy, au coeur des territoires perdus lors de la guerre de 1870, 73 kilomètres parcourus dans la région de Metz qui enthousiasment les messins tout heureux de retrouver, collées sur les murs, des affiches rédigées en français.
Les coureurs passent à nouveau au BaIIon d’Alsace et Belfort Ie dimanche 8 juillet, au cours de l’étape Nancy-Dijon longue de 476 km !

Re… Pottier !

Ce deuxième passage du Tour à Belfort intéresse-t-il seulement les  » sportmen  » comme l’affirme le journal l’Alsace ? Certainement pas à en croire L’Auto qui, dans son édition du 9 juillet, estime à plusieurs milliers le nombre de Belfortains massés le long du Quai Vauban pour assister au passage des compétiteurs. Les coureurs de cette troisième étape ont quitté
Nancy à minuit.
Pour la seconde année, René Pottier affirme sa suprématie de grimpeur dans le Ballon d’Alsace. Il surclasse tout le monde en lâchant dès les premiers lacets, les 18 concurrents  encore attachés à sa roue. Il gagne au passage la prime de 20 francs offerte par M. Hamel de Baccarat au premier homme qui franchira le sommet. Derrière lui, son  » élève  » Passerieu accompagné de Dortignacq semblent à l’aise eux-aussi. Aucouturier, second l’an dernier, joue de malchance. Sa roue avant se brise dans la montée, il perd beaucoup de temps à la changer.  

Belfort, ici Belfort…

Il est 7h35 quand Pottier fait…

(La suite dans : Le Ballon d’Alsace, premier sommet du Tour de France, par François Sellier, page 4)

Rodolphe Sommer (roman) 9 – L’épidémie

Avril était de retour. C’était un mois ensoleillé et doux, avec quelques rares pluies matinales. La floraison était magnifique. Les oiseaux qui peuplaient les arbres, voltigeaient de l’un à l’autre, appelant toute la création à l’amour.

Dans les écoles, la rentrée de Pâques était faite depuis plusieurs jours, lorsqu’un vent tiède et caressant se leva à I’Est. Et soudain se répandit la terrible nouvelle. Une grave épidémie, venue sur les ailes de la brise, s’abattait sur le pays, se propageait avec une rapidité effrayante.
Bientôt de nombreux enfants furent alités. De fausses membranes, molles et grisâtres, se formaient dans la gorge des petits. Ces membranes recelaient de dangereux microbes, que le sang charriait dans tout l’organisme, en engendrant une fièvre intense. C’était la diphtérie. Le fléau se répandit bientôt dans tout le plat pays. Les enfants de Vaudrey étaient en grand danger. Dans les écoles désertées, portes et fenêtres demeuraient grandes ouvertes comme pour inciter les redoutables microbes à s’échapper.
Il était difficile d’isoler les petits malades dans les logements ouvriers. Les parents occupaient une chambre, les enfants occupaient I’autre. Les diphtériques contaminaient frères et soeurs, parfois même les parents. Il fallut, pour la nuit, étendre des matelas à la cuisine, afin de préserver de la contagion ceux qui n’étaient pas encore atteints. En vain. L’épidémie
s’étendait à de nouveaux quartiers, gagnait d’autres localités de la région. Il s’était agi, à I’origine, de la forme la plus habituelle de la maladie, de la diphtérie des amygdales et du pharynx. Elle ne tarda pas à s’étendre au larynx, pour prendre sa forme la plus dangereuse. Quinze jours après son apparition, deux cents enfants étaient atteints du croup
Ca et là se présentaient quelques cas bénins avec des fausses membranes peu nombreuses. Partout ailleurs, ces membranes s’étendaient, devenaient confluantes, envahissaient tout le voile du palais, les fosses nasales, les ganglions du cou, se tuméfiaient enfin et provoquaient une intoxication exceptionnelle. L’obstruction des voies respiratoires engendraient alors des accès de suffocation, pour aboutir à I’asphyxie et à la mort. Chaque jour, plusieurs petits cercueils étaient conduits au cimetière, en passant par la collégiale. Précédés d’un seul ecclésiastique, suivis des membres de  la famille, auxquels se joignaient quelques voisins. Lamentable cortège, rythmé par le son grêle d’une cloche, tintant à mi-hauteur de la flèche du sanctuaire.Peu à peu la terreur avait gagné toute la population.
Hormis les magasins d’alimentation, les seuls débits de boissons demeuraient ouverts au public. Car l’alcool demeurait l’ultime recours des miséreux.
– Un petit verre de goutte, disait Léon Dupin, ça tue les microbes, il n’y a rien de plus sain. Et les ouvriers hochaient la tête d’un air dubitatif.
– Versez-en encore un alors !
Ils en avalaient le contenu d’un trait, jetaient une pièce de dix centimes sur le zinc et partaient à I’usine.
Car les métiers de Rodolphe Sommer tournaient toujours, il n’était pas question de chômer. Un carré de papier blanc, couvert d’une belle écriture de ronde, avait été collé à la porte d’entrée de l’usine :  » les ouvrières dont les enfants sont alités, sont autorisées à s’absenter pour les soigner, durant une partie de la journée ».
À quoi bon ! disait-on. On y allait quand même. Le seul traitement du croup connu, consistait à badigeonner les amygdales des petits malades avec une mixture noirâtre que fournissait le pharmacien, sur ordonnance du médecin. A cet effet, on fixait, à I’aide d’un bout de fil, un peu d’ouate à I’extrémité d’un bâtonnet. on plongeait le pinceau ainsi obtenu, dans la fiole contenant le produit pharmaceutique et, I’enfant étant invité à ouvrir la bouche, on s’efforçait d’atteindre, tout au fond, les ganglions porteurs de microbes.
Le plus souvent, le petit malade suffoquait, refermait la bouche sur le pinceau. On recommençait alors, avec un succès toujours incertain. Avait-on atteint le larynx infecté? Nul ne le savait. On attendait, on surveillait avec angoisse l’évolution de la maladie. Pour cela bien sûr, il était inutile d’abandonner le travail, si I’enfant ne donnait pas encore de signes d’asphyxie.
Et puis, était-il possible de le faire ? Ne fallait-il pas manger pour vivre et travailler pour manger ! Rares étaient les familles ouvrières disposant de quelques économies. Celles qui en possédaient, le plus souvent, ne songeaient pas à les utiliser. Car les conserver était le plus sûr moyen d’obtenir un crédit chez le boulanger et l’épicier.
Les Forster avaient leurs deux cadets allongés côte à côte, dans le même lit. Ils étaient repartis un jour pleins d’espoir, croyant avoir découvert chez I’un et I’autre quelque indice de mieux-être. En rentrant le soir, ils avaient trouvé le plus petit déjà froid, à côté de son frère gémissant. Ils transportèrent en hâte le petit corps dans leur lit. Puis la mère se précipita dans la rue, parcourut la cité comme une folle, en criant. La police municipale alertée, la rejoignit, voulut la ramener à son domicile. En vain. En proie à une crise de dépression nerveuse, elle se débattait, refusait de rentrer. « Pourquoi faire ? ». En effet, pourquoi faire ? Pour retrouver son dernier né sans vie, alors que son frère se raidissait contre I’ultime étreinte dont il sortirait lui aussi vaincu ?
Maria Grandcolas, prise de pitié, la prit à son domicile, en attendant les obsèques. La couchant dans son propre lit, elle parvint peu à peu à la calmer. Mais elle n’eut pas le courage de s’étendre à côté d’elle. Assise sur une chaise, elle passa la nuit à son chevet, lui fit une tisane qu’elle accepta. Longtemps après, elle sombra dans un sommeil peuplé de cauchemars.
Le lendemain, la conduisant par le bras, elle lui permit de suivre le funèbre convoi. Les yeux secs et hagards, elle marchait comme un automate, sans comprendre. Maria, attentive, cherchait à deviner lequel des quatre petits cercueils contenait la dépouille du petit Forster. Elle n’y parvint qu’au cimetière, lorsque le cortège se fractionna en quatre petits groupes destinés à suivre chacun une allée différente.
Agathe regardait, ne posait aucune question. Mais au moment où, la cérémonie terminée, elle perçut le bruit des premières poignées de terre atteignant la bière, elle se remit à crier et à se débattre, tout en s’efforçant de se frayer un chemin, pour se jeter dans la fosse. Enfin calmée, il fallut la conduire à un médecin, qui ordonna son internement à la chambre forte de l’hôpital.
Forster, écrasé, avait d’abord refusé de s’en séparer. Il y avait à son foyer encore deux enfants dont I’un, déjà suffoquant, était confié à la garde de l’autre. Celui-ci se tenait dans la chambre de ses parents, terrifié.
Lorsque son cadet paraissait sur le point d’étouffer, il accourait, plongeait le pinceau dans le flacon et, comme un grand, tout en lui tenant la bouche ouverte, s’efforçait d’atteindre la gorge.
Denis Forster avait été dans l’obligation de reprendre le chemin de I’usine. Absorbé par ses pensées, il avait les gestes saccadés d’un homme surpris par les moindres incidents du travail. Il remplaçait une navette vide et omettait de la regarnir. Les yeux fixés sur la toile, il ne voyait pas le fil qui cassait à quelques centimètres du point qu’il fixait. Parfois, il réparait machinalement une brèche, sans songer à remettre le métier qui s’était arrêté derrière lui.
Lors de la coupure de midi, il se précipitait à son domicile et, parvenu à la porte, hésitait à entrer, de crainte d’apprendre un nouveau malheur. Sa femme cohabitait avec Maria Grandcolas qui, plus à I’aise, depuis que son mari tenait un petit commerce, avait abandonné son travail pour la soigner. Sa protégée semblait aller mieux. Elles couchaient toutes deux dans le lit étroit de Maria, qui, chaque midi et soir s’efforçait de la faire manger et, chaque nuit de la faire dormir.
L’après-midi, quand le temps le permettait, elles sortaient ensemble. Se tenant par le bras, elles traversaient la moitié de la ville pour atteindre la campagne, y faisaient deux ou trois kilomètres de marche et s’asseyaient enfin sous un arbre, recrues de fatigue. C’étaient toujours sous le même arbre, en pleine campagne à une dizaine de mètres de la route. Autour d’elles, l’herbe ondulait doucement sous la brise. Un peu plus loin, les tiges déjà hautes d’un champ de seigle laissaient voir leurs épis naissants ; eux aussi s’inclinaient sous I’action du vent, puis se relevaient doucement.
– Regarde, disait parfois Maria, ces tiges ont encore gagné plusieurs centimètres sur la hauteur de l’herbe.
– Oui, mais elles sont encore loin d’avoir atteint leur taille et ne portent pas encore de grains.
– Dans moins de deux mois, le soleil aura mûri tout cela. Lorsque les épis se doreront, la moisson sera proche.
– Peut:être, peut-être. Mais bien des orages passeront jusque là. Des bourrasques de vent jetteront des épis à terre, qui jamais ne se relèveront plus.
Sentant l’allusion prête à jaillir, Maria se levait.
– Allons, rentrons Agathe, la route est longue encore. Elles regagnaient alors la ville, en suivant toujours la même route, le même côté de cette route, puis les mêmes rues, en longeant les mêmes maisons.
« Je voudrais revoir le lac + », dit un jour Agathe.
Le Lac Bleu, ainsi nommé parce que le ciel se mirait dans ses eaux calmes, était encore…

(La suite dans : Rodolphe Sommer (roman) 9 – L’épidémie, par Pierre Haas, page 31)

Sainte Barbe à Rougegoutte

Sainte Barbe se fête traditionnellement le 4 décembre. La sainte a joui au Moyen-Age d’une grande popularité.
La légende la présente comme une jeune fille très jolie que son père enferma dans une tour pour la mettre à l’abri des prétendants. Il apprend qu’avant d’entrer dans sa prison elle s’est convertie au christianisme. Fou de rage, il décide alors de la tuer, mais elle s’enfuit. Ayant réussi à la rattraper, il la tue de ses propres mains. A ce moment-même, la foudre du ciel tombe sur lui et l’embrase comme une torche.
Vengée par le feu, Barbe est devenue la patronne de tous ceux qui côtoie le feu : les mineurs, qui risquent de rencontrer le « feu central », les fondeurs, artificiers, artilleurs et pompiers.
Le culte de Sainte Barbe dans la seigneurie du Rosemont au XVIè siècle est une coutume venue des grands centres miniers européens. Les premières fêtes à Rougegoutte eurent lieu à partir de 1566 dans la vieille église qui était paroissiale également pour Eloie, Grosmagny, Vescemont, Giromagny, Lepuix, Auxelles-Haut et le Val des Anges. Elles se déroulèrent durant trois années consécutives.
Rougegoutte, par le hasard de sa situation géographique, se trouvait être la paroisse la plus cosmopolite du pays sous-vosgien. S’y cotoyaient mineurs venus du Harz, des Monts métallifères de Bohême, du Palatinat Rhénan, de la Forêt Noire, du Tyrol, de Suisse, d’Alsace, de Lorraine, de Franche-Comté, de Savoie, de France et, bien sûr, les Rosemontois qui avaient, on le conçoit aisément, perdu une part de leur identité au milieu de tous ces « étrangers ».
En 1569, dans le but d’enrayer I’hérésie luthériennne qui se développe parmi les mineurs d’origine germanique, l’administration autrichienne, par l’intermédiaire du Grand-Bailli de Belfort, crée une nouvelle paroisse catholique à Giromagny, centre du bassin minier. L’église sera placée sous le double vocable de Saint-Jean-Baptiste et Sainte-Barbe. Jean-Baptiste parce que, suivant la tradition, c’est le jour de la Saint Jean Baptiste que fut découverte la plus riche mine du district, Barbe, parce qu’elle est patronne de tous les mineurs, quelles que soient leurs origines.
À I’occasion de la dédicace de la nouvelle église paroissiale, le dimanche 23 octobre 1569, il est pour la première fois fait mention d’une Bruderschaft – confrérie des mineurs –  copie de celles qui existent déjà depuis longtemps dans tous les centres miniers européens. La confrérie à des attributions humanitaires et sociales, elle rétribue le curé et le maître d’école et prend en charge les réjouissances de la Sainte-Barbe.
Au XVIIè siècle la guerre de Trente Ans accentue le processus de déclin de l’activité minière. On fête toujours la sainte à Giromagny mais sans éclat. La Sainte-Barbe meurt lentement. Avec la Révolution, le culte de la sainte tombe dans I’oubli. Pourtant en 1891, la nouvelle Compagnie des Mines de Giromagny qui exploite des filons à Lepuix et Auxelles-Haut, décide de renouer avec la tradition et célèbre la sainte patronne à l’église de Giromagny.
En 1992, à I’initiative de l’Association pour I’Histoire et le Patrimoine Sous-Vosgiens, la Sainte-Barbe est a nouveau fêtée à Giromagny, puis à Rougemont-le-Château, qui eut une exploitation minière épisodique, en 1994, à Kirchberg-Wegsheid, où les premiers travaux miniers remontent à la fin du du XVIè siècle, en 1995, à Giromagny et en I996, à Rougegoutte où Ia fête n’avait plus eu lieu depuis 1568.
En 1997, la Sainte-Barbe se déroulera à Auxelles-Haut le dimanche 14 décembre prochain.

Le tissage du métal

Lors des dernières « Portes Ouvertes » au Tissage du Pont à Lepuix en octobre 1996, beaucoup de visiteurs ont marqué leur intérêt pour un métier à tisser qu’ils ne s’attendaient pas à trouver en fonctionnement en cet endroit qui fut le dernier site de production de tissus de coton dans le Territoire de Belfort.

Cet « intrus » installé au milieu de huit autres métiers provenant de I’ancien tissage-coton tissait une drôle de toile au reflet d’or. Du constructeur allemand Jaeger, cette machine, cédée à I’Association pour I’Histoire et le Patrimoine Sous-Vosgiens par la Manufacture de Rougemont et remise en état par Paul Walter, tisse de la toile… métallique.
Le métier fut acheté en 1958 par la manufacture Ehrard qui devient ensuite Manufacture de Rougemont et actuellement Société Filiac. Pour la production de la toile métallique, il ne
reste à présent que quatre métiers sur les quarante deux qui étaient en fonctionnement il y a encore une dizaine d’années. On le voit, comme pour le coton, le tissage métallique, lui aussi en pleine régression, disparaîtra sans doute définitivement dans peu de temps de l’usine rougemontoise. Il reste encore trois lieux de production pour tout le grand-Est, à savoir : les Etablissements Michel à Mulhouse, la Société Gantois à Saint Dié et Tissmétal à Reims.
Ce métier est conçu pour le tissage jusqu’à 1,20 m de largeur, de toiles fines en « uni » ou « croisée », de la maille 40 à la maille 200, ce qui correspond au nombre de fils de chaîne ou de trame au pouce.
Un petit appareil, appelé « quart de pouce », permet de contrôler le maillage de la toile. On comprendra aisément que plus la toile est fine, plus le diamètre du fil employé est petit. Pour
les toiles de 200 à 300, le fil utilisé est plus fin qu’un cheveux (2 à 3/100è de mm). On utilise beaucoup de matière différentes selon les utilisations prévues pour la toile métallique, bien sûr le fer à l’état recuit ou galvanisé, mais aussi très souvent le laiton, le cuivre, I’inox, plus rarement I’argent et I’or exceptionnellement.
Comme dans tout tissage, on trouvait les monteurs de chaînes qui enroulaient sur des ensouples (sorte de gros cylindres situés à I’arrière du métier) les fils de chaîne nécessaires. Ensuite les « passeuses » ou « rentreuses » qui enfilaient un à un chacun de ces fils dans les lis du harnais puis entre les dents d’un « peigne » correspondant au numéro de la toile à
fabriquer. Cette préparation terminée le régleur Iançait la fabrication et les tisseuses prenaient alors possession de leur métiers.

(Photo : Paul Walter devant son métier photographié par François Liebelin)

Des chauves-souris à l’église de Rougemont

L’église de Rougemont-le-Château est un gîte artificiel accueillant des chiroptères. En 1996, une convention entre la Commission de Protection des Eaux de Franche-Comté et la Commune de Rougemont est signée afin de préserver la colonie de chauves-souris présente dans le grenier.

Eléments chiroptériques

Les chauves-souris, mammifères protégés par l’arrêté ministériel du 17 avril 1981 occupent le site en période estivale (de mai à septembre) pour donner naissance à leur unique petit et l’élever. Une espèce a été observée dans le clocher.
Faisant partie des chauves-souris les plus grandes d’Europe, le Grand Murin est présent régulièrement en Franche-Comté notamment en période estivale dans les greniers de bâtiments et quelques grottes naturelles. Sa présence dans un grenier ne passe généralement pas inaperçue à cause du bruit de la colonie et des tas de guano présents sous la colonie.
Aimant les régions humides, il ne se rencontre guère au dessus de 600 mètres d’altitude. Evoluant dans des paysages diversifiés, il vole lentement et chasse ces proies au vol près de la végétation ou à terre.

Suivi du site

Le site a été suivi à deux reprises en 1996 avec un comptage en sortie de site en avril et un comptage à l’intérieur du grenier en fin juillet (après naissance) permettant ainsi d’estimer la colonie de mise-bas et de constater la bonne reproduction avec l’évaluation de la présence des jeunes. La colonie de Rougemont-le-Château, représentant 4 % de la population régionale, fait partie d’un complexe de 14 sites sur l’ensemble de la Franche-Comté.
En janvier 1997, le nettoyage du site a eu lieu avec le ramassage du guano (crottes) produit par la colonie. 11,2 kg de guano (8 cadavres de jeunes) ont ainsi été récoltés grâce à la pose d’une bâche plastique en 1996. Ce nettoyage a permis de constater qu’une chouette effraie était venue après la fin juillet capturer et manger quelques individus (au total 15 individus d’après les restes retrouvés).

Ce numéro de La Vôge est épuisé.

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