Table des matières
Le bail des mines et fonderies du Rosemont en 1661 |
François Liebelin |
4 |
Bail des mines Barbaud-Fatio |
François Liebelin |
8 |
À propos de quelques pipes |
Philippe Dattler |
13 |
Sur les routes du Ballon |
Philippe Dattler |
16 |
Jacques de Pezay en Pays sous-vosgien au XVIIIème siècle |
Philippe Dattler |
17 |
Les merveilles du Ballon d’Alsace |
Philippe Dattler |
20 |
Le chemin Marcel Tassion |
Philippe Dattler |
21 |
Quelques anciennes coutumes du Pays sous-vosgien |
Yves Grisez |
24 |
Les premiers seigneurs d’Auxelles XIIème et XIIIème siècle |
Jules Paul Sarazin |
27 |
Il y a 100 ans |
François Sellier |
32 |
Rodolphe Sommer (roman) (7) – Les élections |
Pierre Haas |
36 |
Une époque formidable – Cochon de fête |
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42 |
Bail des mines et fonderies du Rosemont en 1661
On paie les mineurs au rendement, on les licencie pour des motifs futiles. La couverture sociale en usage à l’époque autrichienne disparait progressivement…
L’âge d’or des mines polymétalliques du Rosemont dure une trentaine d’années (1565-1595). Après 1600, l’industrie extractive de la zone sous-vosgienne traverse une passe difficile. A partir de 1632, des problèmes d’exhaure (1) insurmontables exigent l’abandon de filons jugés non rentables immédiatement. Après la sombre période de la guerre de Trente ans (1633-1638), l’exploitation rosemontoise qui dépend d’abord du comte de la Suze (1636-1654) puis de la famille Mazarin (1659-1791) est placée par les nouveaux maîtres entre les mains de sociétés, qui adjudicataires de baux à court terme (3 à 9 ans) concentrent leurs travaux sur les filons encore accessibles dont elles tirent le maximum. On paie les mineurs au rendement, on les licencie pour des motifs futiles. La couverture sociale en usage à l’époque autrichienne disparaît progressivement laissant une laborieuse population au bon vouloir d’amodiataires peu scrupuleux, intéressés seulement par le profit immédiat.
La courte rétrospective qui va suivre permettra peut-être de mieux recentrer le bail de 1661 que nous reproduirons dans son intégralité.
La concession des mines d’Auxelles de 1472
C’est le premier bail (ou amodiation) connu d’un secteur minier du pays sous-vosgien. Charles le Téméraire, duc de Bourgogne, après avoir, trois années plus tôt, racheté les possessions alsaciennes de I’archiduc Sigismond d’Autriche, fait amodier, par la Chambre de Bourgogne, toutes les mines « d’or, argent, azur, plomb, étain, airain » situées à Auxelles,
comté de Ferrette en Alsace à Jean Pillet, trésorier de Ia ville de Vesoul et Nicolas Bourgeois, originaire de Montbazon. Le duc Charles se réserve la dixième partie de l’argent, plomb, cuivre et autres métaux détenus.
Ce document, précieux, est le premier véritable contrat minier qui détermine les droits du duc et ceux des « parsonniers » (associés) qui, ici, sont au nombre de deux seulement.
Le règlement minier de 1517
Ecrit sous le régime de Maximilien d’Autriche, empereur élu des Romains, roi de Germanie, Hongrie, Dalmatie, Croatie, archiduc d’Autriche et de Bourgogne, ce règlement de 83 articles s’applique aux quatre régions minières d’Alsace, Sundgau, Brisgau et Schwartzwald.
Nous en extrayons ici quelques articles spécifiques aux concessions minières :
« Art. 6 : Le contrôleur (juge des mines) doit partager et distribuer toutes les mines qu’il loue en neuf parties, chaque partie sera divisée en neuf neuvièmes et chaque neuvième en demi-neuvième…
Tous les ouvriers d’une mine doivent être enregistrés dans le livre de comptes…
Art. 10 : Chaque portion de mine doit avoir la longueur de sept toises (environ 12,25m). »
Les ordonnances des mines d’Auxelles et Lepuix de 1560
« Art.I0 : le juge doit partager toutes les mines en neuf neuvièmes, chaque neuvième en deux demi-neuvièmes et chaque demi-neuvième en deux quarts. C’est ainsi que les deux demi-quarts font un neuvième et les neuf neuvièmes font trente six quarts (ou trente six portions) ce qui représente une mine entière, de laquelle appartiennent à I’archiduc quatre quarts (ou portions). »
Les concessions minières durant Ia période autrichienne (1517-1636)
Les règlements de 1517 et 1562 distinguent deux catégories de concessions à répartir entre les détenteurs de parts ou parsonniers. La Fundgrube (première galerie de mine creusée dans un nouveau secteur)
- depuis le mur du filon en se dirigeant vers le toit (ou inversement) : deux lehen (environ 24,5m).
- en descendant sur la colonne, depuis la marque faite par I’arpenteur juré : cinq lehen (environ 61,25m)
- pour une Fundgrube on a donc une concession de 61,25m X 24,5m soit 1500m2.
Les autres mines :
- toujours deux lehen ; du mur vers le toit et quatre lehen seulement en s’enfonçant dans la colonne ce qui donne alors des concessions standard de 49m X 24,5m soit 1200m2.
La disparition des concessions
Dès la fin du XVIème siècle, la plupart des colonnes importantes (Gesellschaft à Auxelles-Haut – Saint-Pierre, Teutschgrund et Pfennigthurm à Lepuix) sont dépilées à plus d’une centaine de mètres sous le niveau des galeries d’écoulement. Les petits concessionnaires disparaissent alors et laissent place à de véritables sociétés exploitantes qui partagent les parts au prorata de I’apport financier de leurs actionnaires car il faut des capitaux importants pour construire les machines d’épuisement, les canaux, les pompes etc…permettant ainsi de continuer une exploitation que l’on veut croire encore rentable.
Les mines du Montjean en 1632
Ce complexe minier reste le seul du district de Giromagny à être encore partagé en trente six portions, I’archiduc Léopold en possède quatre à Saint-Pierre, une à Saint-Georges.
- L’archiduc Léopold d’Autriche 5 parts
- Les héritiers Jean Ulrich de Stadion (seigneurs de Rougemont) 2 parts – Les héritiers Claude Columbinans (Bâle) 2 parts
- Les héritiers Georges Vogel 1/2 part
- Franz, Salomé,Eve et Barbe Refaimbin (Bâle) 1/2 part
- André Clavey (Belfort) 2 parts
- Jacques Schultheis et Léonhard Reffinger (Bâle) 9 parts
- Théodore Burkhard 2 parts
- Léonhard Lùzelman (Bâle) 1,5 part
- Les héritiers Christophe Heyd de Heydenbourg 1/4 part (Giromagny)
- Thomas Händel 1/2 part
- Léonhard Reffinger (Bâle) 1,25 part
- Jean Henri Baïol (Bâle) 1/2 part
- Les héritiers Georges Stimmer (Suisse) 1/2 part
- Jacques Keller (Belfort) 1/2 part
- Henri Henneburg (Giromagny) 1 part
- Les descendants Léonhard Schwarz (Giromagny) 3/4 part
- Les concessionnaires de la mine Teutsgrund 3,75 part
- André Schwarzen et les héritiers Jean Stäehlin (Bâle) 3/4 part
- Anne Marie de Reinach 1/2 part
- Jean Conrad Künzer 1/4 part
- Les héritiers jean Jelphe Teligen (Bâle) 2/3 part
- Jean Balthazar Zeller (Giromagny) 1/3 part
Soit un total de trente six parts.
On note que les Bâlois sont majoritaires dans cette mine exploitée en profondeur à partir du sixième puits sur une étendue horizontale de douze « grubenmass » (environ 147 m). Ils seront dépossédés à l’époque française, accusés d’avoir vendu en Suisse une réserve de minerai d’argent qu’ils avaient fait enlever discrètement de la mine.
Les mines sous I’administration du comte de la Suze (1638-1654)
Vers 1639-1640, Gaspard de Champagne, comte de la Suze ayant assis définitivement sa position à Belfort, peut s’intéresser alors aux mines du Pays sous-vosgien, mais son manque d’expérience fait végéter I’exploitation. Les Bâlois comme nous I’avons dit sont écartés et les travaux amodiés à Jacques Watteler, un commerçant montbéliardais, pour trois années (1646-1649). L’affaire ne prospère pas, les machines de pompage tombent en ruine, Watteler ne renouvelle pas son bail. Le nouveau concessionnaire Gerson Vernier Bininger, autre montbéliardais (1649-1655), plus chanceux et plus fortuné réussit à…
(La suite dans : Bail des mines et fonderies du Rosemont en 1661, par François Liebelin, page 4)
À propos de quelques pipes en terre du XIXème siècle
Oh ! Qu’il est doux, le ventre plein
Prenant de fantasque posture
De repasser la pipe en main
Dans son esprit mille aventure…
Charles Perrault, Eloge du tabac.
En 1991, dans le numéro 8 de La Vôge, j’avais présenté un certain nombre de pipes en terre découvertes dans le pays sous-vosgien, principalement à Giromagny et Rougemont.
Depuis trois autres pipes sont « sorties de terre ».
Le gland
Une des principales caractéristiques des pipes en terre et leur fragilité. Cassée, la pipe est inutilisable et jetée par le fumeur, sans doute d’un geste rageur. Ses restes se retrouvent donc dans les endroits les plus divers, mais la plupart du temps en plein air. Le tuyau des pipes est rarement retrouvé intact, par contre, le fourneau, avec un peu de chance, peut être encore en bon état. C’est le cas pour celui retrouvé près de la chapelle Sainte-Catherine à Rougemont.
Il est intact.
Ce fourneau a la forme d’un gland. A sa base, I’amorce du tuyau permet d’apprécier l’angle fait par le tuyau et le fourneau : ici 120″. Le talon du fourneau à la forme d’un cône tronqué, sa base porte la marque « 46 » inscrite dans un cercle.
Souvent, la pipe porte la marque de son fabricant. Elle était imprimée à I’aide d’un fer de marquage ou un poinçon, sur le tuyau ou sur le talon. L’opération s’effectuait avant la cuisson de la pipe, alors que la terre, bien que déjà sèche, était encore tendre. Ici, apparaît la marque : la marque « 46 ».
Au XIXème siècle, le commerce des pipes a pris une grande ampleur. Les fabricants sont nombreux, répartis dans toutes les régions de France, même si les principaux sont installés dans le Nord. Chaque fabriquant fait assaut d’originalité en proposant une grande variété de modèles, chaque modèle se déclinant en de multiples variantes. Un exemple : en 1894, la maison Gambier à Givet édite un catalogue qui comprend 1600 modèles de pipes. Chaque modèle porte un nom propre à séduire ou à faire rêver le fumeur : tonquinoise, femme-serpent, amazone, grognard, la République… Pour faciliter la tâche des clients (grossistes, demi-grossistes ou détaillants) comme celle du fabricant chaque modèle porte un numéro. Dans le cas qui nous occupe le numéro 46 correspondait à la référence du modèle.
Notre fourneau en forme de gland appartenait très certainement à une pipe façonnée, au tuyau de 20cm de long, fabriquée par la maison Saillard ainé qui le mit à son catalogue en 1843. Cette entreprise fut fondée en 1840, elle était instalIée au numéro 59 de la rue des Granges à Besançon. Seule fabrique connue en Franche-Comté, ses activités se sont poursuivies jusqu’à la fin XIXème siècle. L’entreprise produisait ses propres pipes, elle déposa même un brevet d’invention pour un système de pipe à réservoir permettant à la fumée d’arriver « douce à la bouche du fumeur ». Saillard se livrait également au négoce en gros des pipes, diffusant dans le sud de la France la production des importantes maisons du Nord que sont Gambier de Givet et Fiolet de Saint-Omer.
La Jacob
Les fourneaux des pipes sont parfois lisses ou façonnés sobrement, comme dans le cas du « gland » mais, au XIXème siècle surtout, ils sont souvent des moulages aux formes variées et d’une grande richesse d’expression. Par exemple, les fourneaux retracent l’épopée napoléonienne et contribuent à leur manière à entretenir Ia légende de I’Empereur. Ainsi on trouve en catalogue les pipes « grognard », « l’aigle », « Bonaparte »…lls témoignent de I’actualité : « Bérenger », « locomotive », « tour Eiffel »… ou évoquent I’histoire de France : « Henri IV », « François 1er »…
L’imagination des fabricants est stimulée par la concurrence et I’existence d’un vaste marché.
Un modèle est pourtant remarquable par sa permanence : la pipe « Jacob ». Elle sera fabriquée durant tout le siècle et la plupart des pipiers auront au moins un modèle à…
(La suite dans : À propos de quelques pipes en terre du XIXème siècle, par Philippe Dattler, page 13)
Sur les routes du Ballon
La montagne a longtemps été un milieu hostile pour I’homme, plus encore que la mer. La mer il devait I’affronter par nécessité, la montagne il pouvait le plus souvent la contourner. Rares étaient ceux qui osaient la forcer ; I’histoire a retenu l’épisode du franchissement des Alpes par les éléphants d’Hannibal, plus intéressant pour notre propos, le passage des Vosges par I’armée de Turenne en 1675, passage qui déboucha sur la victoire de Tùrckheim, fut portée à son crédit comme un titre de gloire.
Au sud des Vosges, le massif du Ballon d’Alsace est resté jusqu’au XVIIIème siècle un site peu humanisé. Le point de franchissement le plus ancien est le col de Bussang, route stratégique pour I’acheminement des troupes et voie d’importance économique empruntée par le sel lorrain.
Le Ballon est un vaste domaine forestier inhospitalier. Le relief, le climat, les bêtes sauvages n’invitent pas I’homme à s’installer de façon permanente. Au pied du massif, des populations nombreuses se sont installées à demeure, exploitant les richesses naturelles, notamment du sous-sol, et aménagent la région. La montagne, elle, reste livrée à ce qu’il faut bien qualifier une économie de prédation. Dès la fin du Moyen-Age, les éleveurs créent ou utilisent les chaumes du sommet. Les troupeaux qui détruisent les semis entretiennent, voire contribuent à I’accroissement des chaumes occupées pourtant de façon saisonnière. Sur les pentes qui mènent au sommet I’homme dès le XVIème siècle se livre également à une activité destructrice Les mines et les forges qui se développent au pied de la montagne consomment une énorme quantité de bois d’oeuvre et de charbon de bois. Bûcherons et charbonniers vont s’attaquer à la forêt mais sans s’y fixer. Les hommes, leurs maisons, leur bétail et leurs cultures se déplacent au gré des chantiers forestiers.
Du printemps à I’automne, marcaires, bûcherons, charbonniers sont nombreux à vivre et travailler dans le massif mais nul ne participe à son aménagement et en premier lieu à son aménagement routier qui permettrait une exploitation durable et rationnelle. De fait, jusqu’au XVIIIème siècle le Ballon d’AIsace est peu franchissable. Durant la guerre de Trente Ans, la cavalerie du duc de Lorraine a bien passé le Ballon, venant de Belfort, mais elle battait en retraite et n’avait pas le choix. En fait, les chemins sont peu engageants et non carrossables.
Dans Ia deuxième partie du XVIIIème siècle, la montagne cesse peu à peu de faire peur. Les premiers alpinistes se lancent à l’assaut des sommets. Le genevois Saussure parcourt les glaciers de Chamonix dès 1760 et atteint le sommet du Mont Blanc en 1787. Le franchissement d’un massif plus modeste comme celui des Vosges cesse de relever de I’utopie. De 1751 à 1763, I’ingénieur de Clinchamps ouvre la route qui, passant par le sommet, relie les deux versants lorrain et belfortain. C’est un bel ouvrage. Tous se plaisent à en souligner la beauté et la hardiesse, mais son utilité est limitée. S’élevant à 1000 mètres d’altitude la route est impraticable en hiver et sa pente la rend malaisée aux convois attelés.
Jusqu’alors, la montagne étaient réservée aux marginaux que sont les marcaires et les forestiers. A la fin du XVIIIème siècle elle devient un lieu attrayant comme en témoigne I’article qui suit. Au Ballon, le voyageur parisien du Pezay, frémit d’aise devant le spectacle de la nature. Dans I’article suivant, le lecteur découvrira une autre approche. A la beauté du spectacle s’ajoute, pour le voyageur de 1896, le frisson qu’il ressent à côtoyer I’Alsace annexée, à fouler littéralement la « ligne bleue des Vosges ». Avec I’ouverture du chemin Tassion, il y a soixante ans, nous sommes loin des rêveries rousseauistes de du Pezay. L’approche est pragmatique : il s’agit de donner du travail aux chômeurs et d’exploiter correctement une forêt de I’Etat.
Les trois articles qui suivent présentent donc trois approches du Ballon d’Alsace, jalonnant une évolution : du rêve à la réalité.
Jacques du Pezay en Pays sous-vosgien au XVIIIème siècle
En 1771, à Paris, Jacques du Pezay fait paraître un ouvrage intitulé « Les soirées helvétiennes, alsaciennes et francs-comtoises ». Une deuxième édition paraît l’année suivante à Londres.
L’auteur est assez mal connu même s’il a laissé quelques traces dans les mémoires de l’époque. Le marquis Jacques du Pezay est fils d’un financier genevois, son marquisat est de pure fantaisie. Il est d’abord militaire avant de se consacrer pour I’essentiel à I’intrigue de cour.
Tout au long de sa vie, il se pique de belles-lettres. Tour à tour poète, librettiste d’opéra, auteur d’oeuvres historiques ou traducteur d’ouvrages d’auteurs latins.
Le baron de Besenval, un baron authentique, lui, commandant les régiments suisses au service du roi de France, consacre quelques pages à du Pezay dans ses mémoires. Elles sont peu flatteuses comme en témoignent ces quelques lignes.
« M. du Pezay, qui s’appela d’abord Masson, était d’une naissance obscure. () M. du Pezay commença par être aide de camp de M. le prince de Rohan, pendant la guerre de 1756. Je le connus alors : il était doucereux, complaisant, avait de I’esprit et faisait des vers joliment. On le priait volontiers à souper; là, il récitait ses productions, et surtout des élégies qu’il avait faites, sur la préférence que madame Miton, femme d’un capitaine aux gardes, avait donnée au prince de Marsan sur lui. A la paix, il s’établit dans une petite maison au faubourg Saint-Germain, où il continua le métier de bel esprit, () fatiguant quiconque y consentait, de ses petites poésies…L’ambition développa en lui beaucoup de fausseté, d’audace et d’insolence. »
Du Pezay mourut en 1777, à trente six ans.
Les « Soirées helvétiennes… », sorte de guide touristique avant la lettre, sont écrites après sa nomination comme inspecteur des Mines, poste qui lui donne l’occasion de voyager. L’ouvrage n’est pas d’un spécialiste mais d’un homme de lettres, comme il en existait beaucoup dans les salons parisiens au XVIIIème siècle, écrivant dans I’air du temps. Les descriptions de la nature, d’inspiration rousseauistes, sont ampoulées et I’emphase du ton cache mal le côté approximatif du fond.
Pour ce qui nous concerne le mérite de I’ouvrage est de donner une des très rares descriptions de la région dans la deuxième partie du XVIIIème siècle.
Le Balon de Géromani est la plus haute, la plus riche et la plus curieuse des montagnes des Vosges, tant par ce que la Nature y a fait que par ce que les hommes y ont ajouté. Cette partie de la longue chaîne, qui sépare I’Alsace de la Lorraine, recèle les mines du Royaume les plus abondantes en cuivre, en plomb, et en argent. J’ai descendu trois cents pieds sous terre pour admirer ce qu’il eut été peut-être à souhaiter que I’avarice n’eut pas fait inventer aux hommes, mais ce qu’il feroit désirer qu’ils perfectionnassent puisque les institutions sociales ont rendu I’or nécessaire.
Du fond de ces dédales ténébreux où tant d’hommes ont péri pour orner de quelques paillettes de plus les habits de quelques uns de leurs semblables, j’ai remonté quatre mille pieds au dessus de la surface. L’obscurité profonde d’où je sortois, ajoutait à l’éclat du ciel pur que je voyois au dessus de ma tête. Mon admiration étoit partagée entre les spectacles sublimes que varioit sans cesse, dans ma marche, un horizon plus étendu à chaque pas, et la surprise que me causoit la pente insensible par laquelle je m’élevois sans fatigue à travers des précipices destinés à être inaccessibles. Si quelque chose rappelle en France les ouvrages des anciens Romains ()c’est le chemin pratiqué dans cette partie de montagne. Le sommet du ballon de Géromani peut avoir comme je le disois tout à I’heure, à peu près quatre mille pieds d’élévation. Le chemin qui le traverse est tellement ménagé, sa coupe est si savante, et les spirales qu’il forme dessinées si admirablement, que partout un cheval peut y galoper constamment, tant à la montée qu’à la descente ; c’est ce que je n’ai vu nulle part.
La nature toujours plus riche, à mesure qu’elle semble plus prodigue, après avoir enfoui des filons précieux dans les flancs de cette montagne, offre partout, à la surface, des blocs de granites et de porphyre qui n’attendent que le ciseau pour immortaliser de grands hommes. On y trouve aussi de L’albâtre, moins parfait à la vérité. Pour les porphyres et les granites je crois que, mis en œuvre, leur dureté et leur couleurs ne leur feroient rien céder à ceux que nous allons chercher si loin et que nous payons si cher.
Ces carrières précieuses et ignorées, placées naturellement près des travaux, n’ont jamais été employées que dans la construction de ce beau chemin et joignent encore à I’ouvrage un nouvel air de grandeur et de magnificence. Il a fallu construire de fréquentes arcades pour donner passage aux torrens ; les blocs voisins ont servi et le voyageur admire d’autant plus qu’il s’attendoit moins à trouver dans un désert des ponts dont les matériaux feroient ornement dans les galeries de nos Rois et dans les sanctuaires de nos temples.
Ces vastes souterrains où I’industrie va arracher les métaux, ces marbres assujettis en voûte et donnant un chemin sûr et commode au dessus des abîmes, tous ces monuments des hommes cèdent et s’effacent au premier aspect d’un grand paysage. Ils sont bientôt oubliés par Ie voyageur qui parvient au sommet de la montagne de Géromani. Il regarde et pour lui les Royaumes sont des champs, les Provinces des points, les villes des atomes. Il met un pied sur I’Alsace, I’autre sur la Lorraine et étend un bras sur la Franche-Comté. Son œil se perd avant que I’horizon se termine. Le Rhin coule à dix lieues, il le croit à ses pieds. Il abaisse ses yeux dans une vallée sans fond : il y voit jaillir une fontaine imperceptible ; le reflet de ses eaux en fait seul distinguer l’étroit bassin dans I’ombre, et cette fontaine est la source d’une rivière, qui bientôt va porter de larges bateaux vers l’océan et y roula souvent des ondes teintes du sang de plusieurs milliers d’hommes.
À mesure que le soleil tourne vers l’Occident, le spectacle change. Il se varie, mais toujours pour être plus beau et plus grand. Le rideau sombre des montagnes noires rembrunit les premiers lointains. Une vallée de trente lieues en sépare, on croit les toucher, et au dessus d’elles les glaces des Alpes s’argentent et s’élèvent en amphithéâtre. Les flots de pourpre, de sinople et d’azur s’y succèdent, les teintes brillantes dont un seul…
(La suite dans : Jacques du Pezay en Pays sous-vosgien au XVIIIème siècle, par Philippe Dattler, page 17)
Les merveilles du Ballon d’Alsace
D’où que l’on arrive, on le découvre derrière un éclat de brame, le Massif Vosgien est là fort, puissant. L’énorme crête découpée, comme une longue échine sinueuse coiffée de larges dômes dénudés, offre, pour ses formes et ses volumes, la pureté de ses lignes. » Ainsi s’exprime l’éditorialiste de Massif Vosgien Magazine de juin 1993. En 1896 déjà, promeneur privilégié, un prêtre du diocèse de Troyes, avec les mots de son temps, savait louer le paysage vosgien, Son récit est paru dans La Croix de Belfort du 28 juin 1896.
« Parti de bon matin de Belfort, en quelques minutes le train nous conduit à Giromagny. Déjà on aperçoit par la pensée le Ballon d’Alsace, la gloire des Vosges au sommet duquel la statue magnifique de la Vierge Immaculée proclame la piété et I’amour des enfants de I’Alsace envers Marie leur auguste Mère.
Oh! Que c’est beau, mais que c’est haut. Génie français, où es-tu ? Pourquoi nous condamner, sous un ciel torride, à gravir péniblement une côte de seize kilomètres; pourquoi ne nous as-tu pas encore gratifié, comme en Suisse, d’un chemin de fer à crémaillères, qui en quelques minutes nous transporterait comme par enchantement de la terre au ciel ?
Nous nous mettons en route. Traversons Giromagny, Lepuix, non sans nous agenouiller dans leurs magnifiques églises, véritables chefs-d’oeuvre de I’art chrétien. N’oublions pas cependant le but de notre voyage, la course doit être longue. Les villages disparaissent derrière nous, I’horizon se resserre, les yeux ne rencontrent plus les hautes montagnes boisées de sapins et de fougères.
On est au Saut de la Truite. Nous quittons la magnifique route construite par les Autrichiens sous Napoléon 1er et désormais ce sera en alpinistes que nous grimperons (le mot est vrai) jusqu’au sommet du Ballon.
Nous prenons le sentier, le site est plus pittoresque encore ; I’eau, en cascade magnifique, roule de rochers en rochers et pour ne rien nous Iaisser envier à nos voisins Suisses, forme sous nos pieds des ravins et des torrents majestueux.
Arrêtons-nous, depuis deux heures nous montons. L’appétit commence à se faire sentir. () Enfin nous sommes arrivés au sommet. Quel spectacle magnifique se déroule à nos yeux ! C’est le Ballon de Servance, Saint-Maurice et Bussang, le Bassin et le lac de Sewen, la chaîne tout entière des Vosges. Nos yeux ne peuvent se détacher de ces cimes magnifiques et devant ces beautés de la nature, nous nous demandons, après avoir vu la Suisse, pourquoi avoir été si loin et c’est vraiment avec attendrissement et respect que nous quittons ces lieux si enchanteurs.
France ! Tu ne connais pas les richesses renfermées dans ton sein et tandis que chaque année tu envoies tes enfants par milliers au Mont-Blanc et ailleurs, que ne leur fais-tu connaître les merveilles du Ballon d’Alsace ; que ne les appelles-tu à grimper à ce sommet si élevé d’où ils aperçoivent leurs infortunés frères arrachés à notre amour, d’où avec nous ils s’écrieront en regardant Mulhouse et.les environs : « Frères bien aimés, nous vous saluons… Catholiques et Français toujours ! «
Le chemin Marcel Tassion
Le dimanche 9 juin dernier, on a fêté au Plain de la Gentiane, le soixantième anniversaire du chemin Marcel Tassion. Le soleil et les discours étaient de la fête et une exposition réalisée par le Syndicat d’InÏtiative de Giromagny a opportunément rappelé les origines de ce chemin ; histoire originale et assurément méconnue par la plupart des promeneurs ou skieurs qui empruntent « la Tassion ».
Durant la Première Guerre Mondiale, le massif du Ballon d’Alsace a fait I’objet d’une exploitation forestière intensive et anarchique. Pour satisfaire une demande importante et urgente, les propriétaires coupent massivement, surtout les gros arbres et d’abord à proximité des routes et chemins. Les inondations du 24 décembre 1919 sont catastrophiques. Dans la plaine, les populations estiment que la déforestation qui facilite et accélère l’écoulement des eaux est la cause de leur malheur. C’est en partie vrai.
Pour éviter que pareille catastrophe se renouvelle, ou au moins en limiter I’ampleur, il faut aménager la forêt et en contrôler l’exploitation. La chose est difficile dans la mesure où la propriété forestière au Ballon d’Alsace est morcelée. L’administration, prenant l’affaire en mains, décide de constituer un vaste ensemble forestier par I’acquisition de plusieurs centaines d’hectares (560) de forêts privées qui seront reboisés selon les règles de I’art par les Eaux et Forêts. C’est l’origine de la forêt domaniale du Ballon d’Alsace, constituée par I’Etat en 1921-1922 au prix de 400000 F.
Durant I’Entre-deux guerres, I’ingénieur Marcel Tassion, est inspecteur des Eaux et Forêts à Belfort. C’est lui qui dresse les plans du chemin qui, plus tard, portera son nom. L’ouvrage est destiné en priorité à la vidange des bois de la forêt domaniale, il doit assurer la cohérence de l’ensemble forestier constitué par la réunion de parcelles diverses. A peine achevé, le chemin fera la conquête des promeneurs et des skieurs.
L’opportunité de réaliser les travaux se présente en 1935. La crise économique, partie des Etats Unis en 1929, a atteint la France. Pour limiter les effets du chômage qui sévit à grande échelle les gouvernements lancent une politique de grands travaux d’intérêt public. Des crédits sont mis à la disposition du Ministère de l’Agriculture, notamment pour réaliser des travaux dans les forêts domaniales, travaux dont la réalisation, bien que nécessaire, avait été différée souvent à cause d’un manque de moyens financiers. Le Ballon d’Alsace va en profiter. L’lnspection des Eaux et Forêts de Belfort va réaliser en deux années un établissement piscicole pilote à Malvaux d’une capacité de 100000 alevins de truites destinés aux rivières du Territoire et, de Malvaux à la Gentiane un chemin desservant la forêt domaniale. Le chemin comprend trois tronçons. Le premier, de la maison forestière de Malvaux (qui sera réhabilitée) à l’école aura une longueur de 400 mètres, une largeur de 4 mètres et franchira la Savoureuse par un pont. Le second, de l’école de Malvaux au virage qui précède le chalet Bonaparte, aura 3,8 kilomètres de long et 5 mètres de large ; il est plus particulièrement destiné à la vidange des bois. Enfin, un troisième tronçon reliera le précédent au …
(La suite dans : Le chemin Marcel Tassion, par Philippe Dattler, page 21)
Quelques anciennes coutumes du Pays sous-vosgien
Certaines coutumes sont communes aux diverses localités du pays sous-vosgien, d’autres plus particulières à Lachapelle-sous-Rougemont. La plupart se rattachent plus ou moins aux fêtes religieuses. Plusieurs ont complètement disparu depuis de nombreuses années. Toutefois quelques-unes se sont maintenues.
Coutumes religieuses
Epiphanie – Les enfants costumés en Rois-Mages se rendent dans les diverses maisons du village en chantant : « Trois grands rois se sont rencontrés… ».
Le premier enfant tient dans ses mains un bâton surmonté d’une étoile, les mages marchant derrière lui. Cette vieille coutume a été reprise en 1957 et pendant deux années consécutives par les enfants suivant les leçons de catéchisme.
Tervelles – Lorsque le Jeudi-Saint, les cloches partaient à Rome, elles étaient remplacées par les crécelles ou « tervelles », faites de préférence en bois de cerisier pour être davantage bruyantes.
Pendant trois jours, d’un bout à I’autre du village, une bande de garçons annonçait en « tervellant » I’heure des offices ou celle de midi. En récompense, le Samedi-Saint, ils recueillaient dans chaque maison des oeufs peints de couleurs vives. Aussi quelle joie pour eux de faire grand bruit avec leurs tervelles à l’église, au moment où la sonnette invitait normalement au recueillement !
Toussaint – De retour du cimetière, aux premières heures du 2 novembre, les jeunes gens sonnaient les cloches en I’honneur des morts.
Extrême-Onction – Une coutume, disparue vers 1830, voulait qu’on laisse pendant trois jours près du malade qui avait reçu les derniers sacrements, le crucifix, I’eau bénite et la bougie. Tous les visiteurs, en entrant et en sortant, priaient pour lui et jetaient de I’eau bénite sur son lit, comme cela se fait pour les morts.
Saint-Nicolas – Les enfants allaient chanter à la porte de la maison de leur marraine, laquelle leur donnait le ramain : brioche garnie de poires séchées ressemblant au kougelhopf que mangent les Alsaciens.
Le 5 décembre, au soir, le Saint-Nicolas traversait le village accompagné du Père-Fouettard, faisant réciter des poèmes ou des petites chansons apprises à l’école par les enfants. Il récompensait ceux qui s’étaient bien conduits, tandis que le Père-Fouettard distribuait des verges aux parents des garnements.
Bénédictions – L’usage de bénir les puits et les fontaines aux Rogations (entre Pâques et Ascension) s’est perdu, en 1801, avec le rite bisontin qui I’avait établi. A ces bénédictions, le curé de Lachapelle était accompagné du marguillier qui recueillait des oeufs provenant de toutes les maisons du village et qui les partageait avec lui au retour.
Processions – Les habitants avaient fait voeu, pour obtenir d’être préservés de la grêle, de faire chaque année une procession à la chapelle de Notre-Dame de la Belle-Fontaine située près de Reppe, cette procession se déroulant le lundi de la Pentecôte.
Mais par ordre de Mgr. Tharin, elle fut supprimée en 1825, comme le furent les processions de plus d’une lieue, la longueur du chemin donnant naissance à des haltes nuisant au recueillement des participants.
Cependant, comme il s’agissait d’un voeu fait par leurs ancêtres, les habitants de Lachapelle se crurent obligés de demander à leur évêque de commuer ce voeu. C’est ainsi que sur leur proposition, l’évêque leur imposa, par une lettre du 21 avril de la même année, 1/2 heure de prières publiques chaque dimanche et à perpétuité, depuis l’Invention jusqu’à I’Exaltation de la Sainte-Croix (du 3 mai au 14 septembre), avant la procession qui se déroulait maintenant autour de l’église.
Ces prières se sont bien faites la première année et les chefs de famille y donnaient I’exemple, mais dès la seconde année, la ferveur se refroidit et malgré les exhortations de leur curé, il fallut bientôt les supprimer sans compensation.
Cette procession prit fin également car l’église (il s’agit de I’ancienne église située à la « Crypse ») était « de moitié trop petite » : au retour de la procession, ceux qui y assistaient trouvaient leurs places occupées par ceux qui ne désiraient pas participer à la procession.
Toutefois, des processions se perpétuèrent jusqu’à la dernière guerre : la procession organisée annuellement pour la Saint-Marc (25 avril), la procession de la Fête-Dieu et celle pour les trois jours des Rogations. Les paroissiens se rendaient alternativement à la petite chapelle située près de la brasserie, à Petitefontaine et au cimetière, tandis que des reposoirs étaient installés dans différents quartiers du village.
Coutumes laïques
Carnaval – On préparait en légumes des quartiers de poires séchées cuites au lard et des beignets, tandis que des enfants costumés traversaient la localité par petits groupes en recueillant, à I’occasion, des friandises.
La Fête – Avant d’ouvrir le bal, I’orchestre faisait le tour des notabilités du village, échangeant sa musique contre des rafraîchissements. Dans chaque famille, l’on avait cuit les gâteaux de fête : tarte à la pâte levée garnie de flan, en assez grand nombre, pour que la famille invitée en emporte au moment du départ.
Mariage – La coutume demeure de barrer le cortège nuptial qui sort de l’église. Les conscrits de la mariée tendent un ruban blanc devant le cortège, jusqu’à ce que le nouvel époux leur aie payé le droit de I’emmener. On boit le vin d’honneur et la mariée doit ensuite casser son verre pour être heureuse en ménage.
Charivari – Arrnés de casse- roles et de tout ce qui peut rendre un bruit discordant, les jeunes gens du village font le charivari aux veufs et veuves qui désirent se remarier. Pour le faire cesser, eux aussi doivent payer le droit de recommencer à se mettre en ménage, alors que les gendarmes, chargés de faire respecter I’ordre dans la rue, poursuivent le plus doucement possible les « délinquants ».
Les grêles – Les grêles abîmaient beaucoup les récoltes. Pour en être préservés, les cultivateurs de la région imploraient la protection de la Vierge. Les communes dressaient ainsi, après chaque grêle dévastatrice, un état des pertes éprouvées par les habitants qui n’étaient pas assurés contre ce fléau. En ce qui concerne Lachapelle, une grêle causa des dégâts très importants le 5 juillet 1822.
Plus tard, le jour de I’Ascension de I’année 1859, en dix minutes, à la fin des Vêpres, la grêle se mit à tomber avec une telle violence que les fenêtres et les tuiles des habitations ont volé en éclats et que les blés et les premières récoltes de I’année furent broyés. Les grêlons pesaient de quatre à cinq hectogrammes, voire même pour quelques uns, six hectogrammes. lls s’étaient généralement enfoncés dans la terre de vingt à trente centimètres. En outre, 100 000 tuiles furent endommagées, 164 carreaux furent cassés à l’église, et pourtant le vent soufflait du sud-est et la grêle ne les frappait que de biais.
Lors de ce désastre, un évènement a frappé les habitants de Lachapelle. Une petite statue de la Vierge, fixée au tronc d’un grand peuplier, n’a pas été touchée alors que le toit de la niche dans laquelle elle se trouvait a été broyé par les grêlons, ainsi que les branches du peuplier. Ni la Vierge, ni la porte en verre de la petite niche n’ont été atteintes. Etait-ce un signe du Ciel ? Dès la fin de la grêle, on a…
(La suite dans : Quelques anciennes coutumes du Pays sous-vosgien, par Yves Grisez, page 24)
Premiers seigneurs d’Auxelles
XIIème et XIIIème siècles
Il est communément admis que la famille des seigneurs d’Auxelles, unie à celle de Faucogney par une étroite communauté d’intérêts et parfois par mariage, devait l’être également par une communauté d’origine. Il serait sans doute plus exact de dire que la seigneurie d’Auxelles ne fut, au départ, qu’une succursale de celle, bien plus importante, de Faucogney, destinée à surveïller, grâce à la situation exceptionnelle de son château, la circulation au pied des Vosges.
Origine de la seigneurie d’Auxelles
Aux Xème et XIème siècles, les royaumes issus du partage de I’empire de Charlemagne, n’avaient cessé de s’affaiblir par des intrigues et des querelles permanentes. En outre, trop centralisés, ils laissaient de vastes espaces sans défenses, à la merci des envahisseurs.
Le pays se remettait à peine de la dernière invasion normande qui avait déferlé jusqu’au Rhin (888). Les hordes hongroises sévirent dans notre région. Ces tribus magyares, originaires de I’Asie occidentale, s’étaient d’abord arrêtées dans I’Allemagne du Sud avant de se fixer, plus tard, dans la plaine du Danube. Durant plus de trente ans (916-947) ces peuples sauvages multiplièrent leurs incursions dans I’Est de la France, tuant tous les habitants qui n’avaient pas eu le temps de se cacher, détruisant ce qu’ils ne pouvaient emporter.
Lassés de relever des villages qu’un prochain raid anéantirait, les survivants avaient finalement pris le parti de mener une vie rudimentaire au coeur des forêts. Plusieurs villages complètement dévastés ne se relevèrent jamais. Les puissantes abbaves de Lure et de Luxeuil étaient réduites à néant. Luxeuil par exemple, qui comptait six cents moines et régnait sur une centaine de villages, représentant environ mille cinq cents manses (exploitation agricole), n’abritait plus, après leur passage, dans ses bâtiments incendiés, que seize moines.
Ses fermes étaient détruites, les paysans décimés, les terres à l’abandon depuis plusieurs années. En somme un grand vide qui ne demandait qu’à être comblé et organisé. C’est ce que comprirent quelques grands selgneurs qui, à I’abri de leurs tours crénelées, avaient échappé aux raz de marée. C’est ainsi que Hugues le Noir, un des fondateurs de la première maison de Bourgogne, rassembla à I’ouest de la Saône un vaste territoire qu’il érigea en vicomté, dont il confia la gestion aux sires de Faucogney.
Ces derniers élargirent également leurs propres domaines, à I’est de la Saône, sur les terres abandonnées de I’abbaye de Luxeuil. Mais chaque fois qu’ils relevaient un village, ils y établissaient un représentant : le seigneur. C’était généralement un homme rompu au métier des armes et qui faisait partie de leur famille ou de leurs proches. Les paysans lui consentaient volontiers des privilèges et I’aidaient à construire un château où ils pourraient se mettre à I’abri en cas de nouveau danger.
À ce sujet, Jean Thiébaud, auteur d’une « Histoire de Sainte-Marie-en-Chaux » s’exprime en ces termes . Les terres que le seigneur (de Faucogney) avait conquises étaient distribuées à ses enfants ou à des familles alliées par le mariage. On trouve des alliances entre la famille de Faucogney et celle d’Auxelles (Auxelles près de Giromagny s’appelait Aucelle-les-Faucogney). « Les » ou « lez » du latin latus signifie « à côté de » mais doit être compris ici comme « au côté de », « associé à ».
Etant donné la situation exceptionnelle du château d’Auxelles, véritable fenêtre sur l’actuelle Trouée de Belfort, et qui complètait heureusement, avec Château-Lambert et Passavant, la défense des frontières extérieures du domaine des Faucogney, il est certain qu’ils y établirent un personnage de choix, sur qui ils pouvaient compter, un fils puîné ou un gendre.
En outre, les seigneurs d’Auxelles se montrèrent toujours des fidèles vassaux des Faucogney qu’ils accompagnèrent à plusieurs reprises à la croisade. Quand il s’agira d’affirmer leur présence à Sainte-Marie-en-Chaux, face à l’abbaye de Luxeuil redevenue puissante ou de surveiller le passage des Vosges à Château-Lambert, c’est encore aux seigneurs d’Auxelles que les sires de Faucogney feront appel. Enfin il est révélateur de constater que, bien qu’installés sur le versant alsacien des Vosges, les seigneurs d’Auxelles ne possèdèrent jamais ni biens ni intérêts dans cette province, mais que leurs possessions et leurs activités se développèrent uniquement du côté saônois de la chaîne, donc dans la Haute-Saône actuelle, où les Faucogney, qui étaient également vicomtes de Vesoul, possédaient plus de cent vingt villages.
Les premiers seigneurs d’Auxelles
Ugo de Acella est le premier seigneur d’Auxelles connu, peut-être le premier tout court. On connaît peu de chose sur ce personnage. Il est vraisemblable qu’il participa à la Première Croisade (1096-1147) avec son suzerain Aymé de Faucogney. On sait, en effet, que ce seigneur prisonnier des infidèles à Béthanie, près de Jérusalem, vers 1130, craignant de ne jamais revoir son pays, fit le voeu que, s’il s’en tirait vivant, il bâtirait une abbaye sur ses terres. Or la légende raconte qu’un beau matin, il se serait réveillé dans un vallon boisé près de Lure. Il donna à ce lieu le nom de Béthanie et y fit construire une abbaye, confiée aux moines de Citeaux, qui fut inaugurée en 1133 (les ruines de cette abbaye se trouvent à Bithaine et le Val).
Or à la même époque, et peut-être en exécution d’un voeu identique, Ugo de Acella, par acte du 28 mars 1130, donnait toutes les terres qu’il possédait à Théoloci et Vario (lire Theuley et Vars), deux villages entre Gray et Champlitte, en vue de la fondation, avec le concours d’autres seigneurs, d’une abbaye qui fut inaugurée en 1135. Il n’en reste que des ruines à Theuley. Pour parfaire ce don, Ugo céda à cette abbaye, en 1140, à la demande des moines, de vastes terres « in deserto quod vocatur auvet » (le mot désert désignait de vastes terres incultes et auvet – de auve, eau – un marécage) désagréments qui ne semblaient pas rebuter les moines.
Le successeur de Ugo de Acella fut son fils qui prit le nom de Guillaume 1er. On sait également peu de chose sur lui, sauf que, vers 1150, du consentement de ses fils Gérard et Guillaume (le futur Guillaume II), il fit une importante donation à I’abbaye de Bithaine qu’avait fondée son suzerain une quinzaine d’années plus tôt.
En 1156, son fils et successeur Guillaume II, du consentement de ses fils André, Guillaume (futur Guillaume III) et Richard (futur Richard 1er) donne à I’abbaye de Bithaine, pour en jouir à perpétuité :
- un moulin sis à « Faole » (lieu non identifié),
- un moulin sis à « Corbate » (peut-être Corbenay près de Luxeuil),
- une vigne « plantée par luy même » sur les terres actuellement possédées par les moines de Bithaine
- un journal de terre à Saulx (près de Vesoul).tout ce qu’il possédait en dîme et en cens dans la paroisse de « Santa Maria in Chos » (Sainte-Marie-en-Chaux) dont les sires d’Auxelles deviendront plus tard les seigneurs.
Il donnait en plus tous ses biens mobiliers « ubicumque sint » (où qu’ils soient) consistant en boeufs, chevaux et autres choses, ainsi que ses hommes d’Adelans (près de Lure). Il y possédait en effet quatre serfs (avec leur famille) nommés Lambertin, Huntbelinus, Rufus et Gérardus. On est éberlué de voir le nombre, la diversité et la dispersion géographique des biens dont un petit seigneur pouvait disposer, en quelque sorte, pour ses bonnes oeuvres.
Outre les trois fils cités plus haut, Guillaume II eut encore deux enfants :
- Clémence, qui épousa Raymond (ou Rainaud) de Faucogney,
- Rodolphe, qui devint doyen du chapitre de l’église Saint-Etienne de Besançon (Cette importante église fut démolie par Vauban pour permettre la construction des défenses avancées de la citadelle).
L’année 1187 fut néfaste pour la chrétienté puisque Saladin avait repris Jérusalem. Le pape Urbain III en mourut de saisissement. Son successeur Clément II prêcha immédiatement une nouvelle croisade et institua pour la financer la « dîme saladine » qui frappait tout I’univers chrétien (1188). Cette même année fut confirmées par le pape la possession de I’abbaye de Bithaine, rendant ainsi irrévocables les dons faits à ce monastère par les seigneurs de Faucogney et d’Auxelles. C’était acte de prudence de la part de I’Eglise au moment où ces seigneurs, se préparant à accompagner I’empereur Barberousse à la croisade, avaient…
(La suite dans : Les premiers seigneurs d’Auxelles XIIème et XIIIème siècle, par Jules Paul Sarazin, page 27)
Il y a 100 ans !
La fonte des neiges provoque une nouvelle fois de graves inondations en ce début de I’année 1896, mais le fait marqaant du premier semestre s’avère être Ie 25ème anniversaire de la fin du siège de Belfort.
La France accueille un nouveau Président du Conseil.
« Une aurore nouvelle, radieuse d’espérance, semble s’être levée avec I’avènement du ministère Bourgeois » se persuade La Frontière… Pourtant cet intermède radical dans un pays de plus en plus conservateur va très vite jeter un des plus grands troubles que la République ait connu : I’idée d’instituer un impôt sur le revenu !
Le Territoire de Belfort accueille un nouveau préfet, Monsieur Godefroy, qui, d’emblée, semble recueillir les sympathies des républicains modérés.
Distinction pour Monsieur Berger
Dans son édition du 12 janvier, La Croix de Belfort annonce qu’à I’occasion du centenaire de I’lnstitut, Mr Berger, conseiller général du canton de Giromagny, est nommé chevalier dans I’Ordre de la Légion d’Honneur. Membre distingué de la plus haute société savante française, Mr Berger se voit attribuer cette distinction pour ses recherches sur I’Arabie, la Phénicie, la trinité carthaginoise, ses mémoires relatifs à la Bible et ses études des inscriptions sémitiques, nabatéennes et araméennes (voir encadré).
Au Conseil général
Réuni le 21 janvier sous la présidence de Mr Erhard, le Conseil général accueille le nouveau préfet de I’arrondissement de Belfort, Mr Godefroy. Le principal sujet traité concerne les inondations de décembre dernier (voir La Vôge n’ 16).
L’estimation des dégâts entreprise par la préfecture auprès des communes concernées fait apparaître un préjudice de 1200 francs que le Conseil décide de débloquer à I’unanimité !
La commune d’Etueffont-Bas particulièrement touchée demande de I’aide. Le Conseil lui consent une remise de ses contributions sur les chemins et lui octroie une subvention sur les plus-values de I’année précédente.
Le Conseil étudie ensuite une demande de subvention du Comité d’organisation du 25ème anniversaire de la fin du siège de Belfort, commémoration qui aura lieu les 5 et 6 avril, c’est à dire à Pâques (au grand dam des catholiques !). L’instance départementale n’ayant pas pour habitude de financer pareille manifestation, les conseillers décident néanmoins de faire une collecte entre eux…
Le choc des mots
La presse dite à sensation n’existe pas en 1896, pourtant un journal « bien-pensant », comme La Croix de Belfort ne lésine pas sur les détails pour commenter une macabre découverte.
8 mars. Delphin P., sabotier à Valdoie :
« aux rares heures où il voulait bien être chez lui, avait toute une semaine fêté Bacchus. Depuis le 11 février, on ne le voyait plus. Le 28 février, des voisins inquiets forcent sa porte. Oh spectacle horrible ! On trouve Delphin mort dans un état terrible. Les rats avaient faits bonne et grande besogne : la figure était complètement dénudée, plus d’oreilles, plus de nez et deux trous béants indiquaient la place des yeux. Les rats n’avaient laissé que la partie la plus indigeste, le cuir chevelu aux endroits où les cheveux étaient le plus épais. Les os étaient à nu : par places même on constatait les morsures des fines et puissantes incises. Quelle horreur que ce squelette de tête sur un cadavre indemne. » Le journal fait ensuite remarquer que les amis de Bacchus sont en général bons et sympathiques et qu’ils ont donc offert une gerbe au malheureux défunt. Comme il faut une morale à toute histoire La Croix conclut son macabre article : » Puisse Dieu lui avoir fait… »
(La suite dans : Il y a 100 ans !, par François Sellier, page 32)
Rodolphe Sommer (roman) 7 – Les élections
Pour Rodolphe Sommer l’heure était venue de satisfaire ses ambitions électorales. Sûr de la victoire, il engage la bataille, comme il dirige son usine textile, avec confiance et détermination.
Sommer connaissait les maires de Lusigny et Monturon pour être des hommes dévoués à la bonne cause, avec qui il pourrait aisément s’entendre. Le maire de Saint-Jean lui paraissait plus douteux, celui de Vaudrey lui serait hostile. Il s’agissait d’un militant de ce parti néfaste qui détenait présentement le pouvoir, d’un social démocrate doublé d’un anticlérical bon teint.
« Je verrai les trois premiers sans délai, se dit-il. Ou mieux encore, je les inviterai au Château »
Madame Sommer reçut elle-même les invités au palier du perron. Souriante, elle donna sa main à baiser et les conduisit au grand salon. Rodolphe Sommer, qui les attendait, se leva aussitôt, pour les recevoir avec de grande démonstrations d’amitié. Blétry, épicier en gros, maire et conseiller général de Lusigny, s’était présenté le premier, suivi de près par Lubin, fabricant d’enveloppes et maire de Monturon. Cornet, directeur d’école honoraire et maire de Saint-Jean, avait été retardé de quelques minutes par ses administrés.
– Porto, malaga, whisky, pernod ? s’informa I’amphitryon, lorsque se présenta, en livrée, son valet le mieux stylé.
Chacun étant confortablement assis dans un fauteuil, la conversation s’engagea à bâtons rompus. Il fut question de tout un peu, mais sans la moindre allusion aux prochaines élections. Ce dernier sujet, ne devait être abordé qu’après le repas, au moment des liqueurs, lorsque les invités seraient en pleine euphorie.
Le dîner, remporta tous les suffrages. Mme Sommer présidait. Durant le repas, la conversation se réduisit à un échange de banalités. Ce n’est qu’à I’heure du café, servi dans le fumoir, et lorsque l’hôtesse se fut éclipsée, que l’industriel dit négligemment, en s’adressant à l’épicier en gros :
– À propos Blétry, vous qui voyez beaucoup de monde, vous devez être bien informé sur la situation politique dans I’arrondissement ?
– Oh ! pour cela oui, et je peux même prédire une belle veste à votre inévitable concurrent pour les législatives. Mais celui-ci n’est apparemment pas pressé de se faire connaître ?
– Non, en effet. On prête à I’avocat Fougeret I’intention de poser sa candidature. Mais prudent, il voudrait bien savoir où il met les pieds. Je sais qu’il a procédé à plusieurs sondages. Sans doute ne lui ont-ils pas paru concluants. En tout cas, il va falloir qu’il prenne une décision avant samedi minuit. Ce qui me rappelle d’ailleurs que je n’ai pas encore officiellement remis ma candidature.
– Pour moi intervint Lubin, je ne crois pas à de bien nombreuses candidatures. Dans I’arrondissement, il y a si peu de doutes sur I’issue du scrutin, que la campagne électorale ne s’anime pas.
– Pour l’animer, mon cher ami, vous pouvez compter sur moi. Je prendrai la parole dans toutes les salles de mairies. Mon calendrier est presque établi, il sera publié dans les trois jours. C’est alors que la campagne s’animera. A ce propos, j’espère que vous voudrez bien me faire I’honneur de présider la réunion que je tiendrai dans vos communes.
Et aussi que vous m’amènerez beaucoup de monde ?
– D’accord ! D’accord ! firent Blétry et Lubin d’une même voix.
Corne n’avait encore rien dit. Sommer se tourna vers lui.
– Que pensez-vous cher ami ? Vous ne me semblez pas très loquace ce soir.
– C’est que, répondit I’interpellé, la situation est assez délicate dans ma commune. Les esprits y sont plus divisés. Néanmoins, je ne crains pas de déployer mon drapeau, aussi mes opinions politiques sont-elles bien connues. Je présiderai la réunion que vous ferez à Saint-Jean et, selon I’usage, je vous présenterai aux électeurs.
– Voilà qui est très bien.
Quand à mon programme, il vous est bien connu à tous trois, car c’est également le vôtre.
On débattit néanmoins de ce programme, dans I’euphorie qui suivit cet excellent repas. En conclusion de ce débat à quatre, M. Sommer, qui était, assurait-il, pour toutes les
libertés, y compris la liberté du culte, était par contre absolument hostile au combisme (1) intransigeant des politiciens qui, affirmait-il encore, bafouaient la liberté de conscience.
Il était également un ferme partisan de l’égalité sociale, sauf le cas prévu dans la Déclaration des Droits de I’Homme (2) et fondé sur I’utilité publique ; il n’en estimait pas moins que le sectarisme intransigeant des dirigeants de la sociale-démocratie était la négation même de cette égalité.
Quant à la fraternité, il ne se bornait pas, lui, à la prôner, il la mettait en pratique dans son entreprise, où régnait, assurait-il, le meilleur climat social, où chacun avait ses chances de promotion, où chacun gagnait honnêtement sa vie et où chacun était secourable à son prochain. Il avait, au surplus, spontanément offert une importante augmentation de salaire à tout le personnel des Etablissements Sommer. C’est dire que sa parole ne pouvait être mise en doute. Aussi y avait-il lieu de se montrer optimiste quant aux résultats des élections. Il priait néanmoins ses amis de ne point hésiter à engager des dépenses, pour faire triompher la bonne cause. Dans cette prévision, sa caisse leur était et demeurerait toujours ouverte.
C’est sur ces rassurantes perspectives que I’on se sépara, à une heure avancée de la nuit. Une fois seul Rodolphe Sommer voulut encore réfléchir aux mesures qu’il lui restait à prendre pour s’assurer une éclatante victoire. Il faudrait en tout premier lieu voir le maire de Vaudrey. Il lui ferait, en mairie, une simple visite de courtoisie.
Le lendemain, un peu avant midi, il se présentait à I’hôtel de ville. M. Sommer fut prié d’attendre quelques instant, le maire étant momentanément en conférence avec d’autres personnes. Notre industriel, qui n’avait pas I’habitude de faire antichambre, fut mécontent. Il attendit une demi-heure environ, en s’impatientant peu à peu. Enfin la porte du maire s’ouvrit sur la salle d’attente, livrant passage à une demi-douzaine de militants politiques sociaux-démocrates qui, sembla-t-il à Sommer, le dévisagèrent d’un oeil ironique. Il se leva, la main tendue. Le maire s’en saisit.
– Monsieur Sommer, je suis heureux de vous saluer dans cette maison qui est aussi la vôtre. Que me vaut I’honneur de votre visite ? Mais prenez donc place dans ce fauteuil. Là, je vous écoute.
Décontenancé par le ton quelque peu persifleur de son hôte, Sommer résolut de faire face avec vigueur.
– Je voulais simplement, articula -t-il, en avalant sa salive, vous faire une visite de courtoisie, pour vous annoncer ma candidature aux prochaines élections législatives.
– Cette candidature m’était connue, du moins officieusement. Je ne vous en sais pas moins gré de votre démarche. Le siège que laisse vacant M. Constant, sera sans doute vivement disputé. Permettez-moi, dans cette éventualité de vous souhaiter un plein succès.
– Je vous remercie, M. le Maire. Mais que peut vous faire supposer une vive compétition, alors qu’aucune autre candidature n’est encore annoncée ?
– Il y a cependant un candidat qui attend, pour se déclarer, que la campagne soit officiellement ouverte, c’est à dire après demain.
– Un candidat sérieux, selon vous, Monsieur le Maire ?
– Oui, sérieux, selon moi surtout.
– Et ce candidat, c’est?…
– C’est moi-même, Monsieur Sommer.
– Ah I Vous me voyez surpris. En ce cas, il ne me reste qu’à vous retourner ces voeux de plein succès que vous formuliez il y a un instant à mon égard. Mais vous savez sans doute que la campagne vote traditionnellement pour les candidats libéraux ?
– Oui, et la ville pour les candidats qui se réclament de la démocratie.
– Il y a aussi la question de personne qu’il ne faut pas sous-estimer.
– Je ne la sous-estime nullement Monsieur Sommer, surtout s’agissant de vous.
– Enfin, Monsieur le Maire, permettez-moi ce lieu commun : le peuple souverain décidera.
– Je suis heureux de vous l’entendre dire, Monsieur. Mais le temps presse et si vous n’avez rien d’autre à me dire…
C’était, à n’en pas douter un congé en bonne forme.
– Je n’ajouterai qu’une chose, fit I’industriel courroucé, mais en s’efforçant de garder son calme : c’est qu’entre vous et moi, la compétition ne peut-être que loyale et se situer au niveau des idées.
– Je vous entends, Monsieur Sommer, fit le maire en se levant. Vous pouvez compter sur moi, comme je compte sur vous.
Et les deux hommes, s’étant serré la main, se séparèrent.
« J’ai fait un pas de clerc, se dit Sommer en regagnant son…
(La suite dans : Rodolphe Sommer (roman) 7 – Les élections, par Pierre Haas, page 36)
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