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Table des matières

Le paradis des loups

Jean D€emenus

4

Surnoms et sobriquets à Auxelles-Bas

Jules Paul Sarazin

6

II y a 100 ans

François Sellier

9

Amour et ses limites – endogamie et exogamie à Leval entre 1795 et 1952

Jean de Zutter

14

Prêtre catholique entre les deux guerres : Georges Chiron, curé de Rougemont-le-Château (fin)

François Sellier

21

Rodolphe Sommer (roman) 5 – La négociation

Pierre Haas

30

Pour quelques dragées de fonte…

Philippe Dattler

36

MAGAZINE

 

 

Le chant du Montjean

Jean D€emenus

37

Po sovac lo patois y ait ben d’la b’signe

François Sellier

38

Lepuix préserve son patrimoine

François Sellier

39

Le sentier minier et forestier de Giromagny

François Sellier

40

La forge-musée d’Etueffont a réouvert ses portes

François Sellier

41

Vieux-château… les travaux continuent

Pierre Walter

42

Le Paradis des Loups

À Giromagny, Ie nom d’un hôtel-restaurant, autrefois renommé, intriguait souvent les gens de passage : le Paradis des Loups.

Ce bel immeuble, jadis hôtel particulier, fut détruit par un incendie dans Ia nuit du 31 décembre 1944. Des soldats qui y logeaient y ont  malencontreusement mis le feu ; des munitions ont explosé, rendant toute approche dangereuse. Le bâtiment fut partiellement détruit et rasé quelques années plus tard (C’est aujourd’hui la partie supérieure du terrain des boulistes). Le nom commercial fut transféré à une autre maison située à l’entrée de Giromagny jusqu’en 1980, date de la fermeture définitive. Le dernier restaurateur avait fait poser devant l’entrée un panneau publicitaire représentant des loups à table, la serviette au menton et paraissant avoir une faim… de loups ! L’explication, qui pouvait paraître plausible, n’est cependant pas là d’après Roger Boigeol, ancien président de la Société Belfortaine d’Emulation, qui me I’a confiée un jour.

Au siècle dernier, son arrière-grand-père, Ferdinand Boigeol (1800-1866), le premier de Ia famille à résider à Giromagny où il implanta l’industrie textile, habitait cette maison de maître au centre de Ia ville. Elle était entourée d’un vaste et très beau parc avec bassin et jet d’eau, serre, carpière, rocailles, petite grotte…
L’ensemble occupait la totalité du terrain de camping actuel. À cette époque, les casernes n’existaient pas ; c’étaient des prés et des…

(La suite dans : Le Paradis des Loups, par Jean Demenus, page 4)

Surnoms et sobriquets à Auxelles-Bas

À Auxelles-Bas comme ailleurs, la plupart des patronymes furent, à l’origine, des surnoms décrivant soit le métier d’un individu, soit une particularité de son physique ou un événement survenu dans sa vie. L’habitude d’attribuer des surnoms, qui, généralisés à toute une famille devenaient des sobriquets se transmettant de père en fils, s’est conservée jusqu’à un passé récent.

Mélie Poussot et la Groulotte

Avant que les guerres – celle de 1914 et surtout celle de 1939 – ne viennent bouleverser les anciennes habitudes de vie, avant que ne se développent les moyens de transport individuels,
les moyens de communication et de divertissement, les habitants du village vivaient repliés sur eux-mêmes. Les cafés étaient nombreux. Les hommes se retrouvaient volontiers à la forge, les après-midi d’été, les grands-mères allaient « à cauraille » pour bavarder avec leurs vieilles amies, le soir les jeunes se réunissaient « au bout du pont » où ils chahutaient jusque tard dans la nuit, l’hiver on organisait des veillées entre amis. On entretenait jalousement le petit héritage venu des parents et on se contentait du maigre supplément de ressources que procuraient les nombreuses petites fabriques du village. On s’aidait mutuellement pour les travaux des champs. Les étrangers étaient rares. On vivait entre soi dans une ambiance amicale, non exempte toutefois d’orages et même de tempêtes.
Si la plupart des surnoms étaient le fruit de cette ambiance amicale, d’autres, inspirés par des sentiments moins nobles, trouvaient un écho dans la malice populaire qui les répandait.
Rares étaient ceux qui échappaient à cette distribution de surnoms. Le sexe faible n’y était pas oublié. Les surnoms qu’on lui attribuait étaient tantôt charmants : Marie Poulette,  Catrinette, la Blonde (Emile la Blonde tenait une petite ferme entre les Combes et I’usine de Bellevue ; on y trouvait un excellent miel de rayon), tantôt coquins : la Julotte, la Gigolette, Tieuchotte (Cuisette) sobriquet d’une branche de la grande famille Sarazin, tantôt méchants et même franchement désobligeants : la Sourde, les Petites Reines (deux soeurs dont le port altier essayait de compenser la Petite taille ; bien entendu leur père avait été promu Roi l), Julie la Colle, la Molotte, Mélie Poussot (atteinte de coxalgie, chacun de ses pas semblait la « pousser » en avant), la Rentière (servante et héritière d’un oncle curé). Comme elle souffrait d’un tremblement incoercible, on l’appelait parfois la Groulotte, terme Patois désignant Ia gelée alimentaire qui tremble à la moindre secousse. La Yaude, déformation du prénom Claude (prononcé Glaude). En Franche-Comté, ce surnom s’appliquait à une fille un peu simplette. A Auxelles, c’était le sobriquet d’une famille : Valérie Layaude.

De nombreux surnoms avaient trait à une activité, un mode de vie, un événement. L’empereur : deux familles portaient ce sobriquet, dont un aïeul avait dû servir dans l’armée napoléonienne et être pensionné à ce titre. Chez l’Adjudant : bien que le militaire en question ait terminé sa carrière avec un grade plus élevé. Le Piège : un braconnier, le Dock avait tenu une succursale des Docks Francs-Comtois, Pietot : Petit pied, le Pape, le Zouave : un membre de ces familles avait sans doute servi dans le corps des zouaves pontificaux qui avait défendu Rome victorieusement contre Garibaldi. Rappelés en France après Ies premiers désastres de 1870, ils s’étaient sacrifiés sur les derniers champs de bataille de cette guerre. Leur épopée avait tellement frappé les imaginations qu’un petit garçon pleurnichard ou poltron s’entendait dire « Eh bien ! Tu ferais un beau soldat du pape ! « .
Chez le Cantonnier, Chez le Garde, Chez le Grand Suisse – un aïeul ayant tenu le rôle de Suisse à l’église -, Dédet Meurtchau – maréchal ferrant -, Dédet de la Ferme – originaire de la ferme de la Goutte de leu -, Joseph du Bois – menuisiers, charpentiers de père en fils -, Dédet du Capucin – un membre de la famille ayant appartenu à cet ordre religieux -, Titisse
– tisserand – Taciatte – de ticlette, nom d’un loquet que le porteur de ce surnom avait la réputation de manipuler si délicatement qu’il pouvait s’introduire dans les maisons sans attirer l’attention -, Jules du meunier – son père Joseph Hasquenoph ayant exercé cette profession.
À propos du meunier : sous prétexte qu’un aïeul, comme tout bon meunier de cette époque, avait possédé un âne, cette famille avait reçu le sobriquet de Baudet. on racontait qu’un jeune homme de cette famille, sans doute pas très futé, qui déplorait, à I’issue d’un banquet d’un banquet de conscrit toute cette bonne sauce restant au fond du plat, avait été invité par ses compagnons à la verser dans la poche de sa veste pour la rapporter à la maison… ce qu’il aurait fait.

Samiel le Rouge, urbaniste engagé

Petits enrants vous ne saviez pas qu’en appelant votre tante « tata » ou votre oncle  » Tonton » ou pire « Tio-Tio », vous…

(La suite dans : Surnoms et sobriquets à Auxelles-Bas, par Jules Paul Sarazin, page 6)

Il y a 100 ans !

En pleine ville de Giromagny, on compte plus de deux mètres de neige dans les rues. On doit y creuser de véritables galeries pour ouvrir un passage !

Janvier 1895, la France frissonne. Elle frissonne sous le vent d’antisémitisme soulevé par l’affaire Dreyfus. Elle frissonne sous la montée en puissance des thèses anarchistes. Elle frissonne de la fragilité de son pouvoir politique : Casimir-Perier démissionne le 16 janvier, victime de la calomnie, de la diffamation et de facto de son impuissance à gouverner. L’hiver d’une rare vigueur, n’arrange pas les choses. Notre région, elle, grelotte. Les conditions climatiques des deux premiers mois de l’année sont sans merci. Le froid sibérien succède aux tempêtes de neige qui succèdent au froid sibérien…

Les méfaits de la neige

Quatre jours durant…
L’année débute sous la neige. Une neige Iégère qui blanchit le paysage, sans plus. Et le froid prend le dessus quelques jours puis faiblit, juste pour faire place à la neige et ainsi de suite… Ainsi la couche n’est-elle pas négligeable quand, le 28 janvier, une vraie tempête blanche s’abat sur la région. Quatre jours ! Quatre jours durant, la neige tombe, balayée par un fort vent. La vie est comme paralysée, les communications rendues quasiment impossibles. « ll y a plus de 25 ans qu’on n’a pas vu ça !  » disent les gens. En pleine ville de Giromagny,
on compte plus de deux mètres dans certaines rues. On doit y creuser de véritables galeries pour ouvrir un passage. Il est presque impossible de se rendre à Etueffont ou à Auxelles. A Auxelles-haut où on manque de pain ! Toute la population disponible de Giromagny est réquisitionnée pour déblayer les rues et les routes communiquant avec le « dehors ». Le spectacle ne manque d’ailleurs pas de pittoresque, au bout de plusieurs heures d’effort on peut enfin circuler, tant bien que mal. Le chasse-neige traîné par huit chevaux parvient à ouvrir les voies principales. A Lachapelle-sous-Chaux, la couche accumulée par le vent sur la voie ferrée au nord de la gare est telle, que malgré la réquisition d’hommes pour déblayer et les efforts de cinq machines, le trafic reste bloqué une journée.
À Lepuix, plusieurs habitations construites sur les flancs de la montagne, disparaissent sous la neige. Le rez-de-chaussée est inaccessible, on ne peut pénétrer dans la maison que par les fenêtres de l’étage. Le lundi 3 février, la voie ferrée est à nouveau obstruée sous I’action du vent à Lachapelle-sous-Chaux. Le train de 5h30 en partance de Giromagny reste bloqué. Les gens qui se rendent à la foire de Belfort doivent donc y aller à pied ! Le train parviendra quand même à Belfort, mais avec un retard de cinq heures…
Plus loin, les ouvriers de Fresse ne peuvent gagner les usines de Plancher-les-Mines. Au Ballon de Servance, les militaires sont bloqués dans le fort.

L’ambulance ne peut atteindre le fort

Puis une vague de froid vient tout glacer. Le thermomètre oscille entre -15 le jour et -25 la nuit. A Belfort, les habitants de la rue Thiers se plaignent que la borne fontaine soit gelée et ne donne plus d’eau. Ce froid sibérien sévit durant toute la première semaine de février et contribue hélas au décès d’un soldat du fort de Giromagny. Souffrant de la scarlatine, il doit être transporté sur un brancard par -15″ jusqu’en ville, I’ambulance n’ayant pu atteindre le fort. Après un transport fortement ralenti qui dure 1h30, le malheureux succombe à son arrivée à l’hôpital militaire de Belfort. Cette mort repose le problème d’une infirmerie digne du nom au fort de Giromagny.

Entre deux murailles de neige…

Une nouvelle tempête de neige s’abat les 11, 12 et 13 février. Cette fois, la couche atteint une couche à peine croyable. On n’a jamais vu cela en pays sous-vosgien et la lenteur des opérations de déblaiement commence à agacer. De plus en plus, les maires sont critiqués pour leur passivité ou leur manquement à réquisitionner des « hommes de corvée » pour frayer les chemins: « Il serait urgent d’établir, de distance en distance sur les routes, des retraits pour permettre aux traîneaux de se croiser, chose totalement impossible lorsqu’on se trouve entre deux murailles de neige » s’inquiète le Journal de Belfort, qui pour preuve annonce que le Courrier d’Etueffont est resté bloqué par la neige le 11 février et n’a pu être dégagé qu’à grand peine.
Autre courrier en difficulté, celui de Rougemont-le-Château, assuré par M. Reuillard. La Croix de Belfort raconte ses pérégrinations des samedi 16 et dimanche 17 février :  » Parti samedi à 3h1/4 il est arrêté par la tempête qui sévit et il est obligé de laisser ses chevaux et son traîneau aux Errues. Il prend le sac des dépêches sur ses épaules et s’en va à pied à  Rougemont où il arrive très tard dans la soirée. Le dimanche matin il part à l’heure réglementaire, toujours à pied, pour Lachapelle-sous-Rougemont pour arriver à Belfort à 11h30. Il en repart à 3h1/2 et rentra le soir avec les dépêches par Saint-Germain ; son employé qui fait Ia correspondance le matin par Fontaine a été obliqé de faire le service à cheval pendant ces deux jours. Ce n’est que le lundi 18 qu’ils ont pu récupérer leurs attelages ».
La réquisition des « hommes de corvée » est un véritable casse-tête pour les municipalités. A Chaux, le charcutier, opposant politique du maire, refuse d’exécuter la corvée de déneigement. Le premier magistrat lui dresse procès-verbal. Mais par jugement en date du 20 avril, le prévenu est acquitté, son activité commerciale étant considérée comme prioritaire.

Le soldat égaré…

La population d’Auxelles-haut est de plus en plus inquiète. Depuis le 25 janvier, elle est sans nouvelle d’un soldat du 60ème de ligne stationné à Besançon. Originaire du village, le jeune homme a été renvoyé dans sa famille comme soutien de famille. On craint le pire car la hauteur de la neige autour d’Auxelles atteint facilement les 2m50. Crainte justifiée, puisque le 12 mars son corps est retrouvé dans un fossé encore rempli de neige.
François Septans, âgé de 24 ans, s’était égaré dans les champs, non loin du chemin vicinal, à environ cent mètres du village. Probablement aveuglé par la tempête de neige, pris par la nuit, il aura sans doute été vaincu par le froid.

Impossible de se croiser

L’arrêté préfectoral du 16 février prescrivant I’enlèvement des monceaux de neige qui obstruent les routes semble être resté lettre-morte à Etueffont. La route menant à Giromagny est toujours dans un état déplorable. Le milieu de Ia chaussée notamment, est recouvert de 50 centimètres de neige dure et glacée, tandis que les côtés présentent de profondes ornières
sur lesquelles les traîneaux menacent de basculer à chaque instant.
De plus, sur une grande partie du parcours. il est…

(La suite dans : Il y a 100 ans, par François Sellier, page 9)

Amour et ses limites

Endogamie et exogamie à Leval entre 1795 et 1952

Parler d’amour pour évoquer les relations matrimoniales au XIXè siècle est sans doute un anachronisme et peut-être devrait-on parler d’intérêt(s), ce que les limites géographiques de l’étude semblent montrer. Le mariage est un contrat qui se négocie en fonction des avantages qu’il apporte ; plus la distance au village augmente et plus les avantages diminuent.

Les limites et l’étude

Elles sont données par l’histoire et par la société.
Avant 1793, la communauté villageoise du Val-sous-Rougemont fait partie en matière de tenue des registres de catholicité (baptêmes, mariages et inhumations) de la même paroisse que Rougemont et Romagny et, s’il est possible de distinguer dans les registres paroissiaux les différents lieux de naissance ou d’origine des futurs époux – les prêtres indiquant en général assez soigneusement d’où étaient issus les futurs époux -, il n’est pas sûr qu’une telle recherche menée uniquement sur Leval présente beaucoup d’utilité.
Il était théoriquement possible de pousser l’étude jusqu’à aujourd’hui mais qu’aurait-on appris de plus ?
Depuis le début du XXè siècle, le nombre de mariages célébrés à Leval va en diminuant, passant de vingt neuf mariages pour la décennie 1893-1902 à dix sept pour celle de 1903-1912 et treize pour la période comprise entre 1913 et 1922 (époque quand même relativement peu propice aux mariages) ainsi que pour les périodes 1933-1942 et 1943-1952. Les mariages sont de plus en plus rares et mener une étude sur dix ans à partir de données aussi faibles n’a plus guère de sens. Mais la guerre n’est pas la cause de tout et la baisse du nombre des mariages a d’autres explications. Depuis 1795 et durant tout le XIXè siècle, pas une année où au moins un mariage ne soit célébré à Leval. Au XXè siècle par contre, les cas se multiplient : pas de mariages en 1906, 1909, 1911 et 1913, pas de mariages en 1915 et 1917, pas de mariages en 1925, 1929, 1933, 1934 et 1937, pas de mariages en 1943, 1944 et 1945. Non seulement les cas se multiplient mais Ies périodes sans mariages augmentent progressivement en durée : deux ans entre les deux guerres et trois ans durant la Période
1943-1952.
Les sources utilisées -les registres d’état-civil de Leval- contiennent en général les actes des événements qui se sont produits durant des périodes de dix ans qui commencent par les années ayant 3 comme chiffre des unités et se terminent par les années dont le chiffre des unités est 2. C’est donc pour respecter les sources que nous avons adopté un tel découpage du temps, découpage qui heurte un peu notre logique cartésienne qui voudrait que chaque décennie commence par l’unité et se termine par la dizaine mais qui, s’il n’est pas un avantage, n’est pas non plus un handicap.
L’historien travaille à partir de sources qui, en général, n’ont pas été faites pour lui. Il y trouve bien sûr beaucoup de renseignements mais il y rencontre aussi beaucoup de problèmes. Il faut trancher, interpréter. Entre 1843 et 1852, un des mariés extérieurs à Leval vient de la paroisse de la Baroche. Mais si cette Paroisse est Ia paroisse du village de Phaffans, elle I’est aussi d’une dizaine de villages des alentours. A quel village plutôt qu’à un autre attribuer cet habitant ?
Nous l’avons comptabilisé comme étant originaire de Phaffans.
Les recensements donnent à une date précise, une image de la population française. Pourtant derrière cette croyance naïve que d’approximations ! Pour le Territoire de Belfort (Haut-Rhin à l’époque), le recensement de 1801 n’a pas été fait dans les mêmes règles qu’ailleurs. II faut recommencer les opérations et un dénombrement supplémentaire par rapport aux dénombrements nationaux a lieu en 1803. Par contre, le recensement de 1816 n’est pas effectué. Les recensements de 1811 et 1821 concernent des décomptes de 1810 et 1820. Le recensement de 1826 est en fait plus une mise à jour du dénombrement de 1821 qu’un véritable recensement. Ën 1962, Ia méthode de dénombrement des habitants d’une commune
non-résidents de la commune (militaires, prisonniers, malades hospitalisés, internes…) utilisée par I’INSEE est modifiée et l’INSEE publie donc deux nombres d’habitants pour la même commune : un nombre compatible avec les séries antérieures et un nombre compatible avec les données ultérieures. Quelle que soit la valeur retenue, il y a rupture dans la chaîne statistique. Nous avons donc retenu les valeurs les plus élevées qui, pour les quatre communes du canton de Rougemont et pour le canton lui-même, étaient les données compatibles avec les recensements futurs.
Un problème se posait avec la géographie administrative : les divisions administratives d’hier n’étant pas obligatoirement les divisions administratives d’aujourd’hui.
Fallait-il considérer Ia situation de départ comme intangible ou fallait-il tout analyser avec le découpage d’aujourd’hui ?
Aucune des deux alternatives n’était vraiment séduisante : le Territoire de Belfort n’est plus le Haut-Rhin et Leval n’est plus une commune du canton de Masevaux.
Fallait-il considérer les communes fusionnées comme une seule et même unité ou fallait-il les considérer comme des entités distinctes ?
Concrètement, fallait-il traiter Etueffont-Bas et Etueffont-Haut comme deux communes distinctes ou fallait-il les considérer comme une seule et même commune ? En fait, pour chaque cas, nous avons retenu la solution qui donnait Au point de vue géographique, le plus de précisions
Ainsi, nous avons traité les communes dans le cadre des départements actuels. Considérer les communes de l’actuel Territoire de Belfort comme des communes du Haut-Rhin, c’était englober la quasi-totalité des communautés évoquées sous la même étiquette, alors que les considérer comme éléments d’une division administrative qui n’existait pas encore donnait plus de finesse à l’analyse -et c’est la solution que nous avons adoptée. A l’inverse, les communes ont parfois changé de nom : Bourg est devenu Bourg-sous-Châtelet, Ia Petite Fontaine est devenue Petitefontaine, Rougemont est devenu Rougemont-le-Château et nous avons conservé le nom donné dans l’acte. Le lecteur rectifiera de Iui-même que Lachapelle et Lachapelle-sous-Rougemont sont, dans le cadre de cette étude et pour ce qui nous concerne, la même commune.

Le cadre historique et géographique

Jusqu’à la Révolution, la communauté villageoise de Leval appartient à Ia paroisse des Saints-Apôtres Pierre et Paul qui, avec Rougemont, regroupe Romagny et Saint-Nicolas. Elle appartient parallèlement à la seigneurie de Rougemont qui, depuis 1724 est réunie à celle de Masevaux, où se trouve l’administration seigneuriale. A la Révolution et avec la réforme administrative, Leval devient une commune du département du Haut-Rhin, arrondissement de Belfort, canton de Masevaux et la commune le restera jusqu’en septembre 1871 où, avant le Traité de Francfort, elle est détachée avec Rougemont, Petitefontaine et Romagny des autres communes du canton de Masevaux pour constituer le canton de Rougemont, canton du Haut-Rhin français (futur Territoire de Belfort).

Au point de vue géographique Leval est…

(La suite dans : Le Paradis des Loups, par Jean Demenus, page 4)

Prêtre catholique entre les deux guerres

Georges Chiron, curé de Rougemont-le-Château (fin)

« Il est temps de mettre une sourdine à l’enseignement des droits de l’homme et du citoyen et d’enseigner franchement, de proclamer sur les toits la nécessité urgente des « devoirs » de I’homme et du citoyen » (nov. 34).

Nous avions quitté Georges Chiron au lendemain des grèves de février 1934. Nous le retrouvons au coeur des années durant lesquelles le monde et la France en particulier, vivent une phase capitale de leur histoire. Porte-parole d’une idéologie entièrement dirigée contre tous ceux qui, à ses yeux, tendent à nier les sacro-saintes notions d’ordre, d’autorité, et de justice, le curé rougemontois a matière à réaction en ces années 1935-1939.
Le verbe aussi ravageur que les armes qui claquent ici et là de part le monde, Georges Chiron est plus que jamais engagé. Engagé d’abord contre ce fameux « ramassis de tous les métèques » autrement dit le Front Populaire, engagé ensuite pour tenter d’ « abattre la fringale de guerre de ces sinistres farceurs à la solde de Moscou », il fait feu de tout bois.
Rappelons, cependant, une fois encore -si besoin est- que Ie combat du curé rougemontois n’est pas unique. Il est celui de l’église catholique, celui de I’Episcopat français, celui de la
majorité des prêtres qui, à travers « le Front Unique » n’ont de cesse à démasquer la Franc-maçonnerie et ses « filiales » : la Ligue des Droits de l’Homme et Ia Ligue de I’Enseignement… (sic).
Rien n’échappe à G. Chiron. Il suit parfaitement l’actualité et commente tout. Il ne nous reste donc qu’à tourner avec lui ces pages d’histoire qu’il écrit ou plutôt réécrit chaque mois
dans le bulletin paroissial.

Une secte internationale catholique…

Le gouvernement Doumergue, nommé en février 1934, plaît et rassure. Deux hommes en particulier recueillent les faveurs de Chiron : Tardieu et Pétain. Tardieu , ancien Député de
Belfort-ville (1922), de Belfort-campagne (1928), puis Président du Conseil (1932) a déjà séduit le prêtre rougemontois notamment lors de sa venue à Rougemont le 3 août 1930 : « Qu’il me soit donné de transmettre l’hommage de notre vive reconnaissance à M. Tardieu qui se dévoue sans mesure et aux intérêts généraux du pays et aux oeuvres sociales et  ospitalières de sa petite circonscription de Belfort-campagne » (septembre 30). En effet, suite à une demande de M. Pierre Keller, maire de Rougemont, Tardieu avait adressé à la commune une
somme de 50 000 francs au profit de l’hospice de vieillards. Pourtant, Doumergue est obligé d’abandonner ses fonctions en novembre 1934, sous la pression des radicaux qui ne veulent pas de son projet de réforme de la Constitution.
G. Chiron commente ainsi cette démission ‘. « On a refait contre lui « le coup de jarnac » ( ). Oh, je sais bien que certains catholiques qui se disent bien pensants, prétendent que Mr
Doumergue était trop à droite !… Sont-ils bien français ceux-là ? Ne sont-ils pas à Ia solde d’une secte internationale catholique qui a déjà fait trop de mal depuis qu’elle existe ?  » Sans
doute fait-il allusion ici au courant montant du catholicisme social qui prône les « aspects sociaux du dogme ».

L’odieuse muflerie des gens au pouvoir…

Bien qu’éphémère, le gouvernement Doumergue a le temps de connaître des moments difficiles notamment avec I’assassinat du roi de Yougoslavie, Alexandre 1er à Marseille. L’attentat organisé par des nationalistes croates, le 9 octobre 1934, fait une autre victime : Louis Barthou, ministre français des affaires étrangères. Les deux hommes, pour parer à un éventuel danger allemand, tentaient de resserrer Ies liens entre la France et les petits états d’Ëurope Centrale qui constituaient depuis 1920 la « Petite Entente ». « Il arrive un jour où les ordres de la Mafia révolutionnaire internationaliste peuvent et sont exécutés » (nov. 34) enrage le curé Chiron qui fustige les journaux anarchistes, communistes, et de la SFIO en les accusant d’inciter au meurtre de ce qu’ils appellent (soit disant) les tyrans, et d’ajouter : « II est temps de mettre une sourdine à I’enseignement des « droits » de I’homme et du citoyen et d’enseigner franchement, de proclamer sur les toits, la nécessité urgente des « devoirs » du citoyen ».
Quand, un peu plus tard, Lebrun et Flandin (nouveau Président du Conseil) feront la guerre à « la psychose de l’angoisse » en déclarant que « les démocraties doivent se régénérer ou périr » Chiron exulte.  » Il y a longtemps déjà que par la voie de ce bulletin (paroissial) nous avons dénoncé, cloué au pilori notre régime républicain sottement laic, nos vieilleries républicaines… » Le récent assassinat du roi de Yougoslavie explique l’accueil prudent, voire étriqué, à Paris, du Chancelier d’Autriche en avril 1935. L’Autriche n’est plus la grande nation d’hier mais de là à recevoir son Chancelier comme un Chef d’Etat mineur il y a un pas : « ( ) le Chancelier qui se donne à la France avec tout son coeur et toute sa bonne volonté, est reçu comme un frère pauvre… Il a encore une autre tare : il est catholique pratiquant ! On a honte de lui, on le cache aux anarchistes, aux troupes avinées du Front Commun, alors qu’il y a 100 000 hommes de troupes à Paris ! Et voilà l’odieuse muflerie que les gens au pouvoir viennent de donner en spectacle ( ) « . (Mai 35).

Mussolini encore et toujours…

Le 14 avril 1935, la conférence des grandes puissances européennes est réunie à Stresa en Italie. Chez lui, Mussolini apparaît comme il se doit, très à son avantage. Une occasion supplémentaire s’offre à G. Chiron pour faire l’éloge de son modèle :  » Partout le nom de Mussolini, le portrait de Mussolini, les faits et gestes de Mussolini… Et ce « César de Carnaval » comme l’appelait si stupidement le socialiste Paul Boncour, domine par sa volonté les hommes et les choses ! ()… il est fort, donc on le respecte ! « (Mai 35). Fort et respecté comme ne le sont pas les chefs du gouvernement français qui ne cessent de « valser ». Laval succède à Flandin, pour combien de temps ? « Voyez Mussolini et son oeuvre. A-t-il masqué dès Ie premier iour de la « marche sur Rome » son dessein de prendre Ie pouvoir, de rendre Ia vie à l’ltalie agonisante ? Il a réussi ! ( ) Il est si fort, si puissant, si redouté et si sage, qu’il est auiourd’hui l’arbitre de paix européenne ». (Mai 35).

Une cuisine mal odorante…

Les élections municipales de mai 1935 montrent de manière évidente que l’électorat français est très favorable à la stratégie politique des coalitions de Front Populaire, née au lendemain des évènements de février 1934. A Rougemont, la municipalité demeure conservatrice, même si Victor Donzé succède à Pierre Keller, démissionnaire. Le curé est satisfait mais le ton change quand il aborde les résultats nationaux – et de quelle manière ! –  « Hélas ! Les passions humaines ont été tellement excitées par ces ordures qui s’appellent I’Humanité et Ie Populaire, qu’il est arrivé ce qui devait arriver une poussée communiste plus accentuée… ( ). Ces élections doivent être pour nous, « Catholiques et Français toujours » un sérieux avertissement. ( ) Cette cuisine mal odorante que nous fabrique nécessairement à chaque consultation électorale, un régime d’un autre âge, ne saurait nous écoeurer plus longtemps ». (Juin 35).
Ces lignes « déchaînées » s’achèvent par un renouvellement de la confiance faite aux Croix de Feu et aux Jeunesses Patriotes, seules capables de « ne pas laisser livrer notre Patrie, pieds et poings liés, à un ennemi qui veille, qui arme et qui espère… ».
Tout comme Mussolini, les Croix de Feu sont devenues les références de la pensée de Georges Chiron. La Presse de l’époque – de toute tendance – fait apparaître les Croix de Feu
comme étant l’organisation fasciste subversive, paramilitaire, la plus puissante et la plus redoutable à partir de l’été 1935. Ses méthodes de harcèlement, les affrontements le plus souvent sanglants qui en résultent, soulèvent certaines réticences parmi la population y compris dans « certains » milieux catholiques.
Chiron, lui, réfute l’argument : « Le mouvement des Croix de Feu, les contrarie, les scandalise ( ). Alors que tout le monde sent la nécessité de sortir de l’anarchie, du gâchis universel,
je ne vois pas pourquoi je refuserais mes sourires à un mouvement nettement français et qui promet de se servir, pour l’organisation de la société future, de toutes les énergies, de toutes les forces nationales, catholiques et françaises. » Puis il contre-attaque et voit rouge :
« Que fait-on pour la classe laborieuse ? Rien ! On lui donne comme pâture, la hideuse, la honteuse « manifestation rouge » du 14 juillet… Drapeau rouge, bonnet rouge, cocarde rouqe,
l’Internationale, Ia Carmagnole et le Ça ira hurlés par des bandes de métèques grassement payés pour cela et par des enfants « à la chaîne » comme les misérables esclaves de I’antiquité… ( ). Sinistres farceurs ! Sinistres bandits ! Le pain abonde et par votre faute il peut manquer demain ». (Août 35).

Les hideux guerriers noirs…

Ces propos d’un sectarisme notoire prennent une dimension supplémentaire quand le curé Chiron aborde la question de I’Ethiopie. Cette fois, le racisme vient flirter avec le fascisme.
Le 3 octobre 1935, dans la corne de I’Afrique, des incidents opposent les Ethiopiens aux Italiens de Somalie. Le gouvernement fasciste de Mussolini en profite pour attaquer I’Ethiopie. Le pays est envahi, le Négus doit s’exiler. Il tente vainement de plaider sa cause auprès de la S.D.N.. En France, le gouvernement Herriot est favorable à l’ltalie, la gauche et l’extrême gauche sont indignées. Le curé Chiron lui, ne l’est pas. Il en profite pour louer une fois encore le régime fasciste, au cas où ses paroissiens n’auraient pas encore compris ! … « Savez-vous pourquoi dans le conflit italo-éthiopien, leurs amours vont au Négus ? Ce n’est pas seulement parce que le Négus est arriéré, ennemi de la civilisation, maître absolu de la vie de ses sujets dont les trois quarts sont encore soumis à I’atroce condition d’esclaves, ami des pots de vin, mais c’est surtout parce que Mussolini représente le patriotisme, l’ordre, la
discipline, l’autorité. C’est un chef dans toute la force du mot, un chef qui a écrasé les forces communistes, ennemi de toutes les utopies internationalistes, farouchement jaloux de la
grandeur de sa patrie et qui, en moins de dix ans a fait de sa patrie une nation capable de regarder en face, les yeux dans les yeux, l’orgueilleuse Angleterre… » (Octobre 35). Le mois suivant, toujours à propos de l’Ethiopie, le racisme bon teint vient ajouter à la frénésie ; « Tous les pays européens, l’Angleterre et la France en tête, ont dépensé hommes, canons,
munitions, grosses sommes d’argent pour coloniser et civiliser les trois quarts de l’Afrique qui leur appartiennent. Maintenant : qu’on ne trouve pas étrange que l’Italie en fasse autant ! Se faire casser la figure pour les beaux yeux noirs de ces hideux guerriers noirs, c’est se moquer du monde !  » (Novembre 35).

Une bande de Jacobins sortis du bas peuple…

En France, la politique de déflation du gouvernement Laval aggrave I’exaspération. La reprise économique semble loin, ici comme ailleurs. « Notre paroisse comme les autres sent le malaise généralisé. ( ) Si le travail est encore assuré dans les usines, elle n’ignore pas que le travail reste et restera pénible…

(La suite dans : Prêtre catholique entre les deux guerres , par François Sellier, page 21)

Rodolphe Sommer (roman) 5 – La négociation

Appelés à la grève par leur syndicat, les ouvriers de Rodolphe Sommer cessent le travail. Une manifestation se heurte aux forces de l’ordre mais inquiète Sommer qui va devoir négocier.

Le lendemain, lorsque les délégués syndicaux entrèrent au bureau des employés pour se faire annoncer, Sommer venait d’arriver au sien. En traversant la pièce, il avait dit, en a parte, mais suffisamment haut pour être entendu : « Ils peuvent venir, je les attends de pied ferme ».
– Que voulez-vous ? fit-il d’un ton bourru, lorsqu’ils entrèrent.
– Nous voudrions vous proposer de nouvelles conditions de travail, dit Leroy calmement.
– Pour cela, il faudrait que vous obteniez d’abord la reprise du travail. Mais cela, vous êtes évidemment incapables. Vous n’êtes bons qu’à provoquer le désordre, à mettre un millier de personnes en chômage, à faire souffrir de la faim quatre milles personnes au moins. Permettez-moi de vous dire que vous êtes de piètres représentants du personnel, des gens peu qualifiés pour parler en son nom.
– Nous avons été désignés pour cela, personne d’autre ne se présentera, fit Vannier.
– Cela m’étonnerait, car il y a chez moi, des ouvriers plus compréhensifs. Mais afin de vous montrer que je suis de bonne composition, je veux bien vous entendre.
–– Sans doute savez-vous déjà ce qui nous amène, puisque vous savez ce qui a été dit avant hier soir, intervint Leroy. Mais afin de vous prouver notre bonne volonté, à nous aussi, nous voulons bien vous le répéter.Alors je vous écoute.
– Voilà, reprit Leroy. Les conditions de travail qui nous sont faites et qui remontent à de nombreuses années sont devenues insuffisantes avec l’augmentation du coût de la vie. Nous n’arrivons plus à joindre les deux bouts.
– Mais néanmoins à envahir les bistrots, tout en ruinant votre santé.
– L’exception confirme la règle, fit sentencieusement Leroy. Une hirondelle ne fait pas le printemps. Un ivrogne n’est remarqué que par son comportement insolite. une absinthe ne fait pas d’un ouvrier un ivrogne.
– Je n’ai que faire de ce verbiage. Dites-moi pourquoi vous avez voulu me voir.
– Pour vous demander une augmentation du salaire de base pour tout le personnel. Nous avons bien réfléchi et fait nos comptes. A présent, nous pesons bien nos mots. A moins d’une augmentation de dix pour cent, nous ne reprendrons pas le travail.
– Voila qui est catégorique mais inacceptable. Au surplus, je suis bien bon de vous entendre. Si vous n’avez rien d’autre à me dire, vous pouvez vous retirer.
– Ce que nous faisons à l’instant même, intervint Vannier. Nous sommes à tout moment à votre disposition pour reprendre la conversation au point où nous l’avons laissée.
Le soir même, une nouvelle réunion syndicale eut lieu, au cours de laquelle les délégués du personnel rendirent compte de I’insuccès de leur démarche. Vannier exhorta chacun à tenir ferme, afin de préserver l’unité d’action indispensable au succès.

Denis Forster proposa de faire une quête auprès des commerçants, artisans, et autres personnes susceptibles de venir en aide aux chômeurs les plus nécessiteux. « Seront considérés comme tels, suggèra-t-il, ceux qui ont au moins trois enfants à charge ».
« Les quêteurs doivent être désignés par Ie sort, à moins qu’il y ait des volontaires, suggéra Thomas Berling. Y-a-t-il des oppositions ? « .
Aucune opposition ne s’était manifestée. On procéda au tirage au sort de dix quêteurs, qui formeraient cinq équipes de deux, ayant chacune un quartier à visiter. La quête obtint un succès inespéré. Par ailleurs, la fédération régionale du textile avisa Leroy que les secours demandés et accordés seraient payés de trois jours en trois jours sur présentation d’un état indiquant le nombre de chômeurs adultes et celui des apprentis et jeunes gens âgés de moins de 18 ans.
Rodolphe Sommer, grâce aux informations que lui fournissait Travers, était régulièrement informé des décisions prises par Ie syndicat ouvrier. Il lui en coûtait quelque peu d’avoir recours aux services d’un tel informateur. Avec cet individu, songeait-il comment être certain de connaître la vérité ? En attendant une issue au conflit ouvert par les revendications de son personnel, il ne décolérait plus. Car il avait d’urgentes commandes à satisfaire, des livraisons à effectuer dans des délais déterminés. Faute de quoi les clients qui s’approvisionnaient à
l’usine ne manqueraient pas de retourner à leur ancien fournisseur. Pour les grandes surfaces surtout, la situation était inquiétante. Il avait pris des commandes très tôt, alors que les agrandissements de l’usine étaient à peine terminés.
Puis les travaux de montage avaient duré plus longtemps que prévu. Enfin, lors de la mise en marche des dix et douze quarts, il apparut que de nombreuses mises au point étaient encore indispensables.C’était d’ailleurs à l’essai que l’on pouvait déceler les corrections à effectuer. Or, la grève paralysait tout.
Il s’avérait que cette grève pouvait durer longtemps si elle était soutenue par le commerce local et partiellement financée par la fédération ouvrière du textile régional.
Après mûres réflexions et quoi qu’il en coûtât à son amour-propre, Sommer résolut de reprendre les négociations et de faire, s’il était nécessaire, quelques concessions mineures à ses interlocuteurs. Il cherchait le moyen de renouer sans perdre la face, lorsque le sous-préfet proposa ses bons offices. Des affiches furent apposées dans les rues Ies plus
fréquentées de la ville pour informer la population de l’offre d’arbitrage du représentant du gouvernement.
Si le personnel était disposé à accepter la médiation proposée, il devait envoyer, dès le lendemain, une délégation à la sous-préfecture. Celle-ci serait pourvue de pleins pouvoirs pour négocier.
François Leroy et Rodolphe Sommer avaient, de Ieur côté, reçu une lettre personnelle à peu près identique, mettant en évidence leurs responsabilités et faisant appel à leur esprit de conciliation.
L’industriel s’était empressé d’accepter ce qu’il considérait être une aide inespérée. Les ouvriers, pour leur part, étaient tout disposés à mettre à l’épreuve I’arbitrage qui leur était proposé.
Le lendemain, les deux parties ayant répondu à son invitation, le représentant du Gouvernement se déclara mandaté par le préfet pour promouvoir la conlusion d’un accord acceptable.
« Messieurs, ajouta-t-il, les pouvoirs publics que j’ai l’honneur de représenter ici, attachent la plus haute importance au maintien de la paix sociale. La paix dans I’entreprise en est, comme vous Ie savez, la condition première. Dans le cas qui nous occupe, cette paix ne peut résulter que de la bonne harmonie régnant entre tous les membres de la grande famille qui collaborent à l’oeuvre commune. Cette bonne harmonie ne saurait elle-même se concevoir sans concessions réciproques.
Je sais que vous êtes pleinement conscients de vos responsabilités et, de ce fait, résolus à mettre un terme au conflit qui vous oppose. Votre présence en cette salle et autour de cette table, où siège habituellement le Conseil d’arrondissement, en est la preuve. J’y vois l’indice de la bonne volonté qui vous anime et les prémices d’un accord acceptable pour tous.
Aussi allons-nous passer, sans autre préambule, à l’ordre du jour. La parole sera en premier au représentant de la délégation ouvrière, pour un bref exposé de ses doléances ».
François Leroy se leva.
– Monsieur le Sous-Préfet, commença-t-il, nous nous sommes trouvés dans l’obligation de cesser le travail, parce qu’on utilise encore, à notre usine, pour le calcul de nos salaires, le même barême qu’il y a vingt ans. C’est dire qu’on ne tient pas compte des conditions de vie actuelles. Le prix des produits de première nécessité a tant augmenté depuis cette époque, que nous ne pouvons plus faire face à l’accroissement des dépenses qui en résulte. Dans les autres tissages, les salaires ont été relevés. Non seulement ils ne l’ont pas été chez nous, mais on a encore introduit des fabrications plus pénibles et difficiles. Nous produisons à présent des tissus qui mesurent jusqu’à trois mètres de largeur et qui demandent une application de tous les instants. Or ces fabrications nouvelles, pas plus que les anciennes ne peuvent, au tarif en vigueur, assurer aux ouvriers un gain suffisant. Sans entrer dans les détails, il me suffira je pense d’ajouter, qu’une demande d’entrevue présentée à notre patron, ici présent, n’a été acceptée par lui que pour connaître nos desiderata. A la suite de quoi, il nous a invités à nous retirer. Je ne vois donc pas, pour l’instant, quelles concessions nous pourrions être amenés à faire.
– Bien, voilà qui est clair et précis. J’espère à présent que M. Rodolphe Sommer voudra bien nous exposer son point de vue.
– Monsieur le Sous-Préfet, mon attitude s’explique fort bien. Leroy et plusieurs de ses camarades entendent nous faire la loi au nom d’un syndicat. Or, je ne connais qu’un syndicat, c’est le syndicat patronal. Je n’ai pas refusé d’entendre mes ouvriers lorsqu’ils se sont présentés à titre individuel. Je leur ai même accordé satisfaction lorsque je I’ai pu. A mon usine, les situations sont diverses puisqu’elles varient avec l’emploi occupé. J’entends que chacun parle en son nom propre et non en celui d’un syndicat…
– Fort bien, Monsieur Sommer, interrompit le représentant du gouvernement. Je vous ferai cependant observer que les syndicats ouvriers sont autorisés par la loi. Il est donc bien naturel qu’un tel syndicat puisse mandater une délégation pour parler au nom et exposer le point de vue de I’ensemble du personnel syndiqué. Je n’ai personnellement pas fait de discrimination à cet égard et vous vous trouvez en ce moment en présence d’une délégation syndicale. Ce qui vous épargnera d’ailleurs la…

(La suite dans : Rodolphe Sommer (roman) 5 – La négociation, par Pierre Haas, page 30)

Pour quelques dragées de fonte…

Dans un précédent article (Toute cette canaille se révolte – La Vôge n°3, juin 1989), j’avais montré l’acuité du problème forestier dans la région sous-vosgienne au milieu du XVIIIè siècle. Les difficultés n’étaient pas récentes.

Dans les bois seigneuriaux, les paysans, à la faveur des troubles du siècle précédent, ont pris I’habitude de se procurer tout Ie bois dont ils ont besoin. L’administration seigneuriale, réorganisée à la fin du XVIIè siècle, reçoit mission de veiller au grain. Il est dès lors naturel que des heurts se produisent. Les gardes forestiers sont d’autant plus haïs qu’ils agissent souvent avec brutalité. Le texte que nous présentons ici montre toute la violence qui règne dans les forêts, et ce bien avant la Révolution. Notre document est conservé dans les Archives du Palais Princier de Monaco sous la cotte T 1254. Nous l’avons transcrit en respectant l’orthographe utilisée (celle du garde forestier est phonétique).
Le duc auquel il est fait allusion est Guy-Paul Jules de Mazarin, comte de Belfort. Le document est une pièce comptable destinée à justifier auprès du Duc le paiement des frais pour les soins apportés au garde forestier, blessé dans la forêt de I’Arsot.
Etat des médicaments que j’ay fourny au Sieur Gaspard Folot du Valdoye, Garde des forests de Monsieur le Duc de Mazarin ce quinzième octobre mil sept cent vingt sept d’un
coup de fusil chargé de dragées de fonte qu’il reçu en vacquant aux affaires de mondit Sieur le Duc comme s’en suit.
Premièrement tant Pour emplastres, onguents et fermentations qu’il a fallu pendant six semaines de pansements obvier aux accidens qui en pouvoient subvenir à la suitte Par la
grande inflammation qui se manifesta au commencement du traitement des bessures,
cy………….. 30 livres
plus pour douze voyages exprests,
cy….:……… 20 livres

Je, Jean Jacque Poirot, maistre chirgurgien de Giromagny, certiffie que le susnommé Follot a reçut un coup de fusil chargées de fonte à Ia jambe senestre le quinzième octobre mil sept cent vingt sept en vacquant aux affaires de Monsieur le Duc, lequel j’aurois traité et médicamenté pendant le tems de six semaines consécutives, estant hors de pouvoir d’y vacquer pendant ledit tems en foy de quoy je me suis soubsigné au bas du présent etat et certiffiant Pour luy servir et valoir ainsy que de raison. Fait a Giromagny ce vingt sixième aoust mil sept cent ving neuf.
Jean Poirot

Je sertifie le suce ditte estat véritable pour somme convenue avec le Sieur Poirot qui ma traité du cout de fusil que j’avoit receu an la jeanbe an fesans ma tornez dans la foret darsot, faitte a Jeraumagny ce 26 aoust 1729
Gaspard Follot

Je soubsigné confesse avoir reçu du Sieur Taiclet, agent des affaires de Monseigneur le Duc de Mazarin la somme de cinquante livres d’autre part de laquelle je décharge mondit
Sieur et ledit Gaspard Follot. Fait à Giromagny ce vingt sixième aoust mil sept cent vingt neuf.
Jean Jacque Poirot

Le chant du Montjean

Voici un chant en patois de Giromagny, datant sans doute du siècle dernier, que mon père chantait dans ses moments de bonne humeur.

Je ne me souviens plus du nom de la personne qui m’en a donné la partition, mais I’air et les paroles, je les avais en tête tellement je les ai entendus. En voici Ia traduction.

Tout en haut, c’est chez Moiry,
Un peu plus bas, c’est Jean Couiy,
Dans le milieu, c’est chez Pota,
Tout au fond, c’est chez Gogna.
C’est dans l’poêle chez Clément
Que l’on y boit, que l’on y danse,
C’est dans l’poêle chez Clément
Que l’on y boit tout son argent.

Il s’agit des maisons étagés au flanc du Montjean et de leurs propriétaires, avec leurs noms ou surnoms. Les maisonnettes existent encore, certaines agrandies et devenues résidences secondaires. Les descendants des occupants nommés ne les habitent plus.

Quant à la maison Clément où l’on dépensait tout son argent, c’était une petite ferme à l’emplacement exact de la discothèque « Le Number One ». Et Ies anciens se souviennent encore s’être arrêtés chez « poirier », les successeurs, pour s’y rafraîchir au retour d’une promenade, jusqu’à la dernière guerre, dans ce qui était « l’poêle t’chi Clément ».

 

Vieux-Château

Les travaux continuent

Si les fouilles archéologiques sont terminées depuis 1989, il n’en est pas de même pour les travaux de restauration des structures mises au jour.
La sauvegarde de ces ruines médiévales, rappelons-le, les plus importantes du Territoire de Belfort, ne pourra être assurée sans le concours des collectivités territoriales. Aussi, après une mesure de protection administrative indispensable : l’inscription du site à l’lnventaire des Monuments Historiques par arrêté du 24 octobre 1994, un premier plan d’intervention échelonné sur trois années est élaboré. Ainsi, à I’automne dernier, le Foyer rural a fait appel à l’entreprise d’insertion Sapin pour réaliser une première tranche de sept cent cinquante heures de travail pour un montant de 75000 f subventionné par la Région de Franche-Comté pour 35000 f et par le Département du Territoire de Belfort pour 40000 f.
L’angle sud-est du mur d’enceinte, à cet endroit « mur bouclier » de 2,20 m d’épaisseur qui protégeait la tour, a été reconstruit sur 18 m de longueur et près de 3 m de hauteur (voir photos).
Ce travail sera poursuivi en 1995 derrière la tour et à l’angle nord-est pour un budget de 95000 f, dont 10000 de participation de la commune de Rougemont-le-Château. La tranche de 1996 sera consacrée à la restauration de la tour.

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