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Édito

Ce document est dédié à toutes celles et à tous ceux qui, à l’automne 1944, ont oeuvré et souvent, hélas, payé de leur vie, pour la libération du Pays sous-vosgien.

Plutôt que de publier une simple réédition du numéro hors-série de mars 1996 – épuisé et souvent demandé – nous avons décidé d’en compléter et d’en remanier le contenu pour en faire une parution entièrement nouvelle.
À cet effet, tous les articles parus dans La Vôge, concernant les opérations, les événements ou les commémorations de la Libération ont été regroupés, réorganisés, reconditionnés afin de constituer un ensemble cohérent et encore plus révélateur de ce grand moment de notre histoire.

Puisse ce nouveau hors-série consacré à la Libération, être un autre témoignage, un nouvel aide-mémoire – aussi rigoureux et émouvant que le précédent – pour que chacun prenne la mesure du sacrifice de nos aînés afin que notre Pays retrouve sa liberté.

François Sellier, Président de l’AHPSV.

Table des matières

Édito

François Sellier

1

L’offensive de novembre

Philippe Dattler

2

Le général Brosset         

Jean Faivet

5

Prélude à la Libération : le maquis du Territoire de Belfort     

François Sellier

7

Les forces allemandes dans la Trouée de Belfort   

François Liebelin

9

Débordement du camp retranché de Belfort   

François Liebelin

10

Journées des 22-23-24-25 novembre 1944   

François Liebelin

11

À l’assaut du Ballon d’Alsace

François Liebelin

24

De Vescemont à la haute vallée de la Doller   

François Liebelin

26

La libération de la Fennematt et de la haute vallée de la Doller, en novembre 1944

Jean Faivet

28

Les commandos au combat à Lamedeleine et Étueffont   

François Liebelin

29

Le command combat 6    

François Liebelin

32

Ombres et lumières sur Giromagny                                 

René Frick

34

Giromagny à l’aube du 22 novembre                                                  

Paule Michel-Zeller

38

Souvenir d’une petite fille de Giromagny   

Marie-Louise Cheviron

40

En passant par le pont Saint-Pierre                                           

Jules Perros

41

De Vescemont à l’Alsace                                                                                  

Jean Clerc

43

Bombes sur Rougegoutte – Vescemont                                       

Jean-Marie Pourchet

45

Libération de Rougegoutte 22 novembre 1944                                    

Paul Courbot 

47

Un cuirassier à Rougegoutte   

Élie Rosetti

49

Libération de la maison Liebelin à Rougegoutte      

Yvonne Liebelin

50

Avec le light n° 123

Étienne Pouvrasseau, François Sellier   

51

Étueffont : une libération sanglante

Mathilde Pelletier

52

J’avais 16 ans à Saint-Germain-le-Châtelet  

Bernard Groboillot

53

La fin tragique du tank destroyer « Porc-Épic »

François Liebelin

57

1944 à Saint-Nicolas des Bois : de l’Occupation à la Libération

Sœur Marie Solange

58

La libération de Saint-Nicolas    

François Sellier

66

La libération de Rougemont                          

Philippe Dattler

67

Pour quelques grammes d’acier allemand      

Philippe Dattler

72

Marie Bury victime civile de la libération de Rougemont  

François Sellier

73

Novembre 1944, les chemises n’étaient pas sèches à Auxelles-Haut            

Cécile Boileau, Bernard Marconnot

74

Souvenirs de la Libération à Lachapelle-sous-Rougemont

Colette Haas-Braun

76

Souvenirs de la libération de Grosmagny – L’épopée des chars « 115 » et « 131 »

François Liebelin

82

Erreur de tir Cela aurait pu être pire…

Jean-Marie Parisot

87

1945, petit à petit, la vie « normale »reprend ses droits

François Sellier

89

Rationnement, restrictions, désillusions

François Sellier

95

Le 21 novembre 1948 à Giromagny

 

100

Novembre 1994, le pays sous-vosgien  se souvient de sa libération

 

102

2004, 60e anniversaire de la Libération

 

104

Hommage à Roger Barberot

François Sellier

108

Historique du maquis de la Haute Planche

Souvenir français du canton de Giromagny

109

Le chemin de la Mémoire

 

110

L’offensive de novembre

Durant l’été 1944 les armées des puissances de l’Axe ont subi de lourdes défaites. À l’est, l’Armée rouge est passée à l’offensive en Finlande, elle a pénétré en Pologne, en septembre elle occupe la Roumanie et la Bulgarie. Dans les Balkans, la Grèce et une bonne partie de la Yougoslavie sont libérées. En Italie, l’armée allemande a dû se replier au nord de Florence sur la « ligne gothique ».

En France, l’offensive alliée a connu des succès spectaculaires. Le corps expéditionnaire débarqué le 6 juin en Normandie a dû livrer de dures batailles mais il est aux portes de la Lorraine en septembre. Débarqué en Provence le 15 août, le corps franco-américain comprenant la 1ère armée française, commandée par le général de Lattre, progresse de six cents
kilomètres vers le nord en un mois. Le 12 septembre, en Bourgogne, des unités de la 1ère armée venue du sud font leur jonction avec des unités de la 2ème DB du général Leclerc venue de l’ouest. À la mi-septembre la libération du pays paraît proche puisque seul l’Est de la France reste occupé (ainsi que quelques  » poches « , comme celle de Royan).

Le front de l’ouest à l’automne 1944

Avec l’automne vient le temps des désillusions. En septembre, une offensive anglaise aux Pays-Bas échoue, échouent également les tentatives américaines pour prendre Metz. Sur la droite du front, les Français libèrent la Franche-Comté mais ne peuvent forcer l’entrée de la Trouée de Belfort. À I’automne 1944, la victoire des Alliés semble assurée mais la guerre est pourtant loin d’être achevée. Fatigue des troupes, difficultés d’approvisionnement, apparition du mauvais temps, retour en force de la Wehrmacht, vont entraîner une pause de plusieurs semaines dans l’offensive que tout le monde espère devoir être la dernière.
Les Alliés combattent sur un front continu de la mer du Nord à la frontière suisse. À la droite du front se trouve le 6ème corps d’armée US commandé par Ie général américain Devers, corps d’armée comprenant la 7ème armée US et la 1ère armée française. La 7ème armée US a pour mission de s’assurer les cols vosgiens pour déboucher en Alsace ; la 1ère armée française, face à la Trouée de Belfort, doit pénétrer en Alsace par le sud.
Le 20 septembre, elle se heurte à une forte résistance allemande. L’offensive débutée en Provence s’achève, le front se stabilise pour plus de sept semaines. Début octobre, de durs combats sont livrés dans les Vosges en liaison avec la 7′ armée US mais ils ne permettent pas d’ouvrir un passage en Alsace.

La 1ère armée devant la Trouée de Belfort

La 1ère armée occupe un front qui va de la Suisse aux Vosges par l’Isle-sur-le-Doubs, Ronchamp . L’armée comprend deux corps, le 1er, commandé par le général Béthouard, à droite, le 2ème, commandé par le général de Montsabert au sud des Vosges.
Dès le 17 septembre, le général de Lattre a précisé le plan qui doit permettre de pénétrer en Alsace. Fin octobre il est toujours d’actualité. Le forcement de la Trouée de Belfort se fera par ses deux bords, est et ouest, le camp retranché de Belfort devant être réduit après avoir été débordé. Le 1er corps d’armée, par Montbéliard, Delle, Altkirch doit atteindre le Rhin, le 2ème corps par Champagney, Giromagny, Rougemont, Cernay doit s’avancer sur Colmar, son aile droite, au contact du 7ème corps US, devant forcer les passages vosgiens.
Durant tout le mois d’octobre et la première quinzaine de novembre, l’armée complète ses approvisionnements et ses effectifs; de nombreux FFI sont  » amalgamés  » ou viennent « blanchir » les unités d’origine africaine. En l’absence d’offensive une guerre de position s’installe. Sur l’ensemble du front les Français sont au contact permanent des hommes de la 63ème armée allemande commandée par le général Wiese ; les actions locales sont permanentes. Menées dans des conditions climatiques de plus en plus dures elles permettent aux
Français de maintenir une pression constante sur les troupes allemandes mais n’empêchent pas celles-ci de renforcer leurs positions en prévision d’une offensive qu’elles savent, elles aussi, inéluctable.
À la mi-novembre le front s’embrase. Les Alliés tentent d’obtenir la décision avant l’hiver. Le général de Lattre, pour sa part, lance son offensive le 14 novembre. C’est le 1er corps du général Béthouard qui s’élance d’abord. Le temps est exécrable.
L’attaque déclenchée dans la boucle du Doubs débouche rapidement . Le 17, Héricourt et Montbéliard sont libérées. Le 19 le Rhin est atteint à Rosenau. C’est à des soldats du 1er régiment de Zouaves que revient l’honneur d’être les premiers, de tous les combattants alliés, à prendre position le long du fleuve.
Le 20, Mulhouse est à son tour…

(La suite dans : L’offensive de novembre par Philippe Dattler page 2)

Le général Brosset

Il est des nôtres, Diego Brosset. Des nôtres, pour avoir asséné le premier coup de boutoir qui aura dégagé les Vosges du Sud de l’emprise d’un ennemi qui s’y était fortement accroché à l’automne 1944 ; des nôtres aussi pour avoir donné, en ces mêmes lieux, son dernier ordre du jour avant que ne I’engloutissent les eaux tumultueuses du Rahin. La stèle incorporée au pont de la rivière, entre Plancher et Champagney, rappelle sobrement ces faits. Ceux du pays sous-vosgien qui ont fait campagne sous les ordres du général Brosset seront heureux et fiers de pouvoir lui rendre témoignage ici.

Sortir du rang

De parents lyonnais fixés en Argentine, Diego Brosset est né à Buenos Aires en 1898. Il rejoint la France en 1916 pour s’engager, à 18 ans, dans les chasseurs : il avait mis, a-t-il confié plus tard au général Koenig, une pointe d’orgueil à faire son apprentissage de guerrier dans les rangs de la troupe. Après vingt mois d’opérations, titulaire de quatre citations, il est nommé sous-officier.
En1920, il se présente avec succès au concours de l’école militaire de Saint-Maixent puis, promu sous-lieutenant, il entame une carrière coloniale qui le conduira en Afrique Occidentale et, comme méhariste, en Mauritanie.
Rentré en France dans les années trente, le capitaine Brosset est reçu à l’École Supérieure de Guerre, et affecté, en 1939, au 2″ bureau du corps d’armée de la ligne Maginot. Promu chef de bataillon, la conduite de la « drôle de guerre » lui semble une hérésie : il accuse ouvertement le haut commandement de manquer d’audace et d’imagination, ce qui lui vaut d’être exilé à la mission militaire française de Colombie.

Le successeur de Koenig

L’appel du général de Gaulle connu, il rallie les Forces Françaises Libres (FFL) dès le 27 juin 1940. Chef d’état-major du général Catroux à Beyrouth, le lieutenant-colonel Brosset participera, trois années durant à toutes les campagnes africaines de la 1ère DFL, de l’Égypte à la Tunisie, en passant par ce que l’on dénommait à l’époque la Cyrénaïque et la Tripolitaine. C’est à la fin de cette longue randonnée, ponctuée d’avances et de replis, que, promu général, il prendra la succession de Koenig à la tête de la 1ère DFL après avoir enlevé les positions ennemies de Takrouna, en Tunisie.
Il nous est donc permis, maintenant, de parler de « notre général ».
Un « sacré bonhomme », si l’on ose dire. Dur pour lui-même, dur pour ses hommes, il avait su marquer sa division d’un sceau particulier : c’était la « division Brosset », la seule, depuis I’An II, à n’avoir compté dans ses rangs que des volontaires.
Qu’il soit permis à l’un de ses anciens d’évoquer, à l’ombre de La Vôge, deux souvenirs personnels.
Novembre 1943 : la 1ère DFL avait planté ses tentes en Tunisie, la place de Nabeul étant tombée en dévolution au bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique (BIMP). De là, chaque dimanche un convoi de permissionnaires partait pour Tunis sur un camion « Lancia » et sa remorque, empruntés en Tripolitaine à nos frères italiens. Les clandestins, eux, partaient et revenaient par leurs propres moyens, c’est-à-dire – la mode ne date pas d’aujourd’hui – en stop.
De retour de bordée – excusez le terme, nous appartenions à l’infanterie de marine – un caporal vétéran des campagnes de 1940, contraint d’employer ce mode de transport, se voit pris en charge par une jeep qui bloque à ses côtés, tous freins crissants : Brosset la pilotait. « Quelle unité, caporal, demande-t-il ? BIMR mon général « . Sans un mot, Brosset pique sur Nabeul alors que son quartier général était à Hammamet, conduit son passager à domicile et lui dit laconiquement, en guise d’adieu :  » la prochaine fois, caporal, vous prendrez une permission ! « .

16 mai 1944, en Italie : la ligne Gustav est enfoncée depuis le 11 mai. Aux abords de San Giorgo di Liri, la 2ème compagnie du CIMB, en pointe de la division, est clouée au sol par des tirs d’armes automatiques.
Une jeep s’arrête derrière nous : Brosset en descend : Nom de Dieu ! Le BIMP recule ! Pour Brosset ne pas avancer, c’était reculer…  « 1ère section, en avant ! »
19 hommes sur les 23 qui restaient boulent sur les trente premiers mètres. Brosset reste là, imperturbable.
Nos camarades tahitiens et calédoniens prennent la relève, avec appui de mortiers. Nos fidèles compagnons de la 13ème demi-brigade de Légion étrangère comblent les vides. Le passage est forcé : c’était, nous l’avons appris par la suite, le dernier battage sérieux avant Rome, la « ligne Hitler »… et Brosset était tout cela.

De Toulon à Plancher Bas

Puis, ce fut le débarquement de Provence : Toulon, Hyères, la vallée du Rhône et, enfin, Lyon. Enfant du pays malgré sa naissance dans l’hémisphère austral, Brosset ne se sent plus de joie : il prend possession de l’Hôtel de Ville en en gravissant les marches au volant de sa jeep.
1944. Ce fut aussi l’année sans automne : la pluie, puis, brusquement, la neige et le froid. Les routes étaient défoncées, les voies ferrées coupées, le ravitaillement en vivres, carburant et munitions, chichement mesuré. Et, comme dans la chanson du vieux Jo, venus du Pacifique, du Tchad, de Centrafrique, de Madagascar et autres lieux lointains,  » nos amis avaient quitté les cotonniers  » ; le climat avait eu raison de ceux que l’ennemi n’avait pu vaincre. C’est ainsi qu’en septembre la division, après avoir mordu quelque peu sur le massif vosgien, ne peut dépasser le col de la Chevestraye et Ronchamp, enlevé de haute lutte.
Le temps de reconstituer ses réserves en munitions, d’étoffer ses rangs de jeunes recrues engagées en cours de route, la division, après avoir mené quelques combats sporadiques, lance le 19 novembre une attaque d’envergure suivant deux directions : un axe Champagney – Plancher-Bas – Auxelles-Bas – Giromagny; un axe Fresse – La Chevestraie – Auxelles-Bas – Giromagny.
Le lendemain, nos unités sont proches d’Auxelles-Haut et du Mont Jean ; le Pré Besson est atteint. Brosset, qui est au premier rang, lance aussitôt sur Plancher-Bas un escadron de fusiliers-marins. Il lance aussi un message à ses hommes : « la droite de la 1ère armée française vient d’atteindre le Rhin au sud de Mulhouse… Dans les jours qui suivront on compte sur vous, les plus vieilles et les plus jeunes troupes de la nouvelle armée française, pour enlever Giromagny et atteindre le Rhin au nord de Mulhouse ».
Ce message sera le dernier. Cette journée de victoire se terminera dans le deuil.

La mort du guerrier

Le généra|, ayant entre Plancher-Bas et Champagney troqué sa jeep enlisée contre celle d’un détachement de la circulation routière, veut éviter un fourneau de mine. Il donne un brusque coup de volant…

(La suite dans : Le général Brosset   par Jean FAIVET page 6)

NDLR : Jean FAIVET, auteur de l’article, est un ancien du bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique.

Prélude à la Libération : le maquis du Territoire de Belfort

Le Groupement FFI du Territoire de Belfort est constitué en 1943 sous l’égide du Mouvement Lorraine.
En mars l944, il compte près de sept cents hommes qui, à partir de juin, opèrent notamment sur les voies ferrées, les dépôts de munition…etc.

Le 5 septembre 1944, le commandant Dufay (Raten dans la clandestinité) ordonne le regroupement de quelque huit cents hommes qui sont répartis comme suit :

  • une compagnie autour d’Etobon,
  • une compagnie dans le massif de la Planche des Belles Filles, à la Tête des Sapins,
  • une compagnie au Mont Ordon Verrier face à Giromagny,
  • le commandant et l’état-major à la Tête des Bornes (entre les deux compagnies précédentes),
  • deux compagnies à I’ouest de Delle.

Ce regroupement est déjà en lui-même un acte héroïque étant donné l’omniprésence de I’ennemi sur le secteur sous-vosgien.
Plusieurs coups de main sont exécutés avec succès sur Auxelles, sur Lepuix, sur la route Lure-Giromagny et dans le Vallon de Saint-Antoine.
Les Allemands, quant à eux, multiplient les représailles et fusillent notamment trente-neuf maquisards devant le mur du temple de Chenebier. À partir du 14 septembre, les effectifs ennemis de plus en plus nombreux organisent la « chasse au maquis », isolent les compagnies FFI en les empêchant de s’approcher des villlages et donc de se ravitailler. Dans la
nuit du 17 au 18 septembre 1944, ordre est donné aux compagnies FFI stationnées dans la montagne sous-vosgienne de décrocher. La dissolution du maquis devient inévitable.
Un passage du rapport établi par le colonel Monod, chef militaire de la région D, décrit les étapes de cette dissolution :
« … le dimanche 24 septembre le commandant, réunissant les deux compognies, déclare que ceux qui veulent s’en aller le peuvent sans être considérés comme déserteurs. lls laisseront aux autres, armes, munitions et équipements de toutes sortes.
Après le départ de ceux qui se décident à redescendre, il reste exactement 210 officiers, sous-officiers et soldats FFI qui demeurent décidés à tout et promettent la plus stricte discipline. Cependant le 25 au soir, le commandant réunit les officiers autour du feu de bivouac. La situation est la suivante : au point de vue sanitaire, elle est mauvaise ; depuis Ia veille, l’ennemi qui a procédé à des arrestations, n’ignore plus la présence d’un maquis dans le massif. Si les Cosaques qui cantonnent à 10 km de Ià attaquent Ie maquis il reste 8 minutes de feu et aucune direction ni possibilité de repli. D’autre part il faut désormais prévoir que, le Boche bloquant les villages, le ravitaillement va devenir impossible, tel est également I’avis de la grosse majorité des officiers, et Ie commandant prend Ia décision de dissoudre le maquis.
Le lendemain 26 septembre, sous une pluie diluvienne, il réunit tout Ie camp et déclare que le maquis est dissout, tous reçoivent I’ordre de rentrer chez eux ou dans une retraite sûre et de s’y cacher.
Il ne reste que le commandant, 5 officiers et 25 hommes ; s’y ajoutent les 6 prisonniers et les Sénégalais, soit en tout 40.
Le 7 octobre on apprend coup sur coup l’arrestation dans Lachapelle-sous-Chaux des anciens membres du maquis qui stockaient des vivres, entre autres un jeune homme qui…

(La suite dans : Prélude à la Libération : le maquis du Territoire de Belfort   par François Sellier page 7)

Journée du 22 novembre I944

Résumé des marches et opérations de la 1ère DFL

À l’aube du 22 novembre le bataillon de marche 5 (BM 5) et le bataillon de marche 24 (BM 24) pénètrent dans Giromagny évacué la nuit par les troupes allemandes qui ont fait sauter les ponts.
La prise de Giromagny, en créant une brèche dans les lignes allemandes de la Savoureuse, a amorcé sur ce point le débordement par le nord du camp retranché de Belfort.
Au matin du 22 novembre, le dispositif offensif de la DFL est remanié par la création de deux groupements :

  • un groupement nord, aux ordres du colonel Delange, comprenant la 1ère brigade, moins le 2ème bataillon de Légion étrangère (BLE) et le groupement blindé du Corail, chargés de l’action sur le Ballon d’Alsace.
  • un groupement sud, aux ordres du colonel Raynal, comprenant le BM 5, le BM 24, le bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique (BIMP), le groupement de Morsier et le groupement de Gastines, chargés de l’exploitation en direction de Rougemont.

En cours de journée, le BM 5 patrouille vers Malvaux et le BM 24, appuyé par les blindés, enlève Vescemont. Au soir, le 1er BLE dépasse le BM 5 et occupe Malvaux tandis que le bataillon de marche 11 (BM 11) s’installe à Vescemont.
Au groupement sud, le BM 24 s’empare de Rougegoutte mais ne peut en déboucher. Le bataillon de marche 21 (BM 21 occupe Lachapelle-sous-Chaux, Chaux et Sermamagny et pousse des reconnaissances vers la forêt de la Vaivre. Le BIMP, après avoir attaqué la corne nord-ouest du bois du Haut-du-Mont (Sermamagny), et enlevé de vive force un fossé antichar, parvient sur la ligne des étangs de la forêt de la Vaivre. Les groupements blindés de Gastines et du Corail sont à l’est et au sud de Rougegoutte. Le groupement de Morsier qui s’est heurté à une vive résistance au Martinet (Offemont) tient le carrefour au sud du bois du Haut-du-Mont. (D’après Les grandes unités françaises – Résumé des marches et opérations de la 1* DMI)

Libération de Giromagny et de Rougegoutte

4ème brigade de la 1ère DFL colonel Raynal
Le 21 novembre au soir, avant l’offensive sur Giromagny, la position des unités composant la 4ème brigade est la suivante :

PC : Plancher-Bas
BIMP : Plancher-Bas
BM 24 : PC – Plancher-Bas. Les trois compagnies après le « Trou de l’Enfer » sur l’alignement Tête des Planches, 900 mètres à l’ouest du cimetière de Giromagny.
BM 21: PC à Errevet. Une compagnie à la côte 431, une sur la route de Bas-Evette à Sermamagny, à 500 mètres sud de la côte 426
BM 5 : PC Tissage des Grands-Champs. Une compagnie à l’usine, deux compagnies à Lepuix-Gy. Compagnie de Canons d’Infanterie (CCI) : Auxelles-Bas. Compagnie Antichar (CAC) : Deux sections à Auxelles-Bas, une section à Bas-Evette.

22 novembre 1944

6h30 : envoi aux unités de l’ordre général n°17.
BM 5
– tenir Lepuix et ses débouchés
– pousser des reconnaissances sur la route du Ballon d’Alsace, dans la vallée de la Beucinière et sur le Mont-Jean
– reconnaître et nettoyer Giromagny du nord au sud en liaison avec le BM 24
BM 24
– enlever la position à l’ouest de Giromagny (fort)
– appuyer I’action de nettoyage du BM 5
– barrer la vallée de Vescemont (château du Rosemont) pour couvrir Giromagny face nord-est
BM 21
– enlever Lachapelle-sous-Chaux (en réalité cette mission a déjà été remplie dans la soirée du 21)
– enlever Sermamagny et Chaux et tenir les ponts de la Savoureuse
– pousser des reconnaissances sur les axes partant de la route de Sermamagny-Chaux vers I’Est (le fossé antichar de la forêt de la Vaivre)
Groupement blindé du Corail
– liaison Auxelles-Bas – Chaux
Groupement blindé de Gastines
Appui du BM 24, ultérieurement éclairage sur l’axe Giromagny-Rougemont
Groupement blindé de Morsier
– reconnaissance sur les axes Éloie – Grosmagny et Éloie – Étueffont-Bas – Étueffont-Haut
6 h 50 : Le commandant Jonas du 1″‘ régiment d’artillerie coloniale (RAC) téléphone aux batteries d’artillerie pour signaler que le BM 5 se trouve à proximité de Giromagny et s’apprête à entrer dans la ville.
7 h 30 : La première reconnaissance du BM 5 pénètre, sans rencontrer de résistance, dans les quartiers nord de Giromagny. La 3′ compagnie du BM 24 constate que l’ennemi a abandonné ses positions à la fin de la nuit; elle traverse celles-ci et descend dans Giromagny.
7 h 40 : Envoi de l’ordre particulier n° 38 concernant la mise à disposition du RCT 1 (colonel Delange) duGroupement du Corail.
8 h 00 : Ordre est donné au 1er groupe d’obusiers de faire un tir d’aveuglement sur le fort de Giromagny de 9 h 30 à 10 h. Ordre est également donné au RAC de tirer trois cents coups sur le nord de Rougegoutte. Le capitaine Molnia occupe un nouvel observatoire sur la route à 2 km de Giromagny.
8 h 15 : Entrée à Giromagny de la 1ère section du 1er bataillon de génie. Reconnaissance des passages sur la Savoureuse. Un premier passage, par l’usine du  » Brûlé  » est découvert et exploité immédiatement.
8 h 21 : L’avion de reconnaissance signale que Giromagny est libéré, il voit les chars et les troupes qui entrent dans la ville.
8 h 30 : La 3 « section du L » bataillon de génie progresse de Bas-Evette à Sermamagny avec le RECCE.
Le pont sur la route d’Éloie est partiellement détruit. Les charges non explosées sont désamorcées et le pont est réparé sommairement (platelage en rails et plateaux).
La CCI de la 4è brigade prend à partie une batterie de canons allemands de 76,2 mm repérés au sud de Rougegoutte.
8 h 35 : Ordre au RAC de régler son tir sur l’usine dans cinq minutes.
Vers 9 h : Les tanks destroyers (TD) du 8″ régiment de chasseurs d’Afrique (RCA) postés à la sortie de Giromagny en renfort du RAC arrosent les retranchements allemands de la colline du Marandé et de la forêt de la Vaivre à Rougegoutte ainsi que ceux de la Côte à Vescemont.
9 h 10 : Le colonel Bert envoie un message pour demander au colonel Raynal de le rejoindre à la mairie de Giromagny.
Après la prise de Giromagny la 3′ section de la 3’compagnie du BM 24 est installée en position défensive le long de la Savoureuse.
9 h 19 : L’avion signale que Chaux et Sermamagny sont libérés.
9 h 30 : Une patrouille de TD occupe le centre de Vescemont et fait prisonnier le sapeur allemand chargé de faire sauter le pont avant qu’il n’ait pu actionner la mise à feu. Deux chars légers du peloton Lucas du 1er régiment de fusiliers marins (RFM) s’avancent jusqu’à la lisière est du village et entrent au contact de I’ennemi retranché dans un réseau de tranchées’
Deux hommes du 2ème peloton du 11ème Cuirs sont tués.
10 h 00 : Un poste d’observation du RAC est installé près du cimetière de Giromagny. L’officier observateur est en liaison avec…

 (La suite dans : Journée du 22 novembre I944 par François Liebelin page 12)

 

Ombres et lumières sur Giromagny

Ce demi-siècle écoulé représente une telle épaisseur de temps que mes souvenirs en sont fragmentaires, la chronologie floue parfois. Seuls quelques instantanés, sons, lumières et émotions du moment.
J’avais dix-sept ans à peine…

L’attente

Le 4 octobre 1944, l’offensive alliée s’est arrêtée à nos portes, entre Ronchamp et Champagney : espoir déçu d’une libération escomptée dans la foulée de la chevauchée « napoléonienne », celle de la 1ère armée française et de la 6″ armée américaine débarquées en Provence le 15 août. Un automne précoce, des inondations, la neige dès novembre, nous laissent résignés à passer encore un long hiver sous la botte.
Ce répit sera mis à profit par l’occupant. Fini la débandade du mois d’août que nous regardions narquois; la Wehrmacht s’est ressaisie et la 19ème armée du général Wiese organise solidement la défense du verrou de Belfort, déterminée à protéger l’Alsace comme partie intégrante du Reich. Alors I’occupation devient oppression quand s’installent à Giromagny, outre I’armée, la Gestapo, Ia Milice, l’Organisation Todt, omniprésentes. La situation s’avère dure pour tous, tragique pour beaucoup.
Au gré de mes souvenirs, voici quelques aspects de cette « saison en enfer ».
Vers le 16 septembre, tous les hommes de seize à soixante ans sont requis pour des travaux de terrassement, façon aussi de les tenir en main. Chaque matin, appel sur la Grande Place et départ en commandos vers les Fiottes, le fort, le Mont-Jean, jusqu’à Sermamagny, pour creuser des tranchées ou le fossé antichar. Un leitmotiv :  » Arbeit ! Arbeit ! « .
Parmi les plus jeunes, je fais équipe avec Félix Faivre, le plus âgé (c’est le mari de notre centenaire), I’un à la pelle, l’autre à la pioche. Que d’outils enterrés au fond des trous creusés dans la journée ! Les fréquentes alertes aériennes, même en pleine forêt étaient prises au sérieux par les gardiens :  » Schnell ! Schnell ! « . C’était l’occasion de nous égailler comme des moineaux pour ne plus revenir. J’ai très vite saisi l’opportunité d’être dispensé de cette corvée en rejoignant une équipe permanente de secouristes avec Piot, Lalloz et George.
Le couvre-feu est établi dès 20 heures, mais les ruelles et les  » gasses  » autorisent des retours tardifs et des déplacements discrets. Black-out complet, de nombreuses patrouilles y veillent. Des Ausweiss sont nécessaires pour le moindre déplacement.  » Verboten ! « ,. Les ponts sont gardés.
Tous (?) les postes radios ont été déposés en mairie. Des réquisitions sont pratiquées sur la nourriture, les chevaux et le cheptel, sur les camionnettes, les vélos, sur les machines à écrire, le mobilier etc… Des billets de logement sont imposés : nous avons dû héberger à cette époque un membre de l’Organisation Todt, de ceux que nous appelions les  » faisans dorés  » à cause de la couleur de leurs uniformes. C’était un Alsacien de Colmar, sans doute contraint de s’engager, qui essayait de se faire très discret.
La soldatesque a la gâchette facile. Juste devant la mairie un paisible cycliste belfortain est abattu sous mes yeux d’une balle tirée d’un camion militaire. Accident ! dira le chef du détachement, très détaché, sans regret ni remords. Accident ou exécution ?
Source d’inquiétude permanente : que deviennent ceux des maquis ? Ils n’étaient montés à la Haute-Planche, le 6 septembre, que pour quelques jours. Comment peuvent-ils survivre par un pareil temps ?
On a eu vent de l’attaque du 17 septembre. Un assaut a été repoussé, mais on ignore les pertes. La Gestapo arrête, maltraite, torture et tue aux casernes de Giromagny qui constituent un véritable camp retranché, derrière leurs hauts murs surmontés de rouleaux de barbelés. Un centre d’accueil tente d’améliorer le sort des prisonniers en leur apportant chaque jour de la nourriture. Par l’entrée rue Saint-Pierre Pierre,les gardiens recevaient bien marmites et bouteillons, mais faisaient-ils la distribution ? Pour en être sûr, des rations individuelles furent préparées et chargées sur une remorque que je manoeuvrais pendant que ma soeur était autorisée à s’approcher de chaque détenu pour lui remettre son repas. C’est ainsi qu’elle a pu s’entretenir avec Monsieur Bègue de Saint-Nicolas, déjà bien mal en point (voir l’article « Petit à petit la vie « normale » reprend ses droits « ). Elle n’avait que de l’aspirine pour le soulager. Elle reconnut aussi Bernard Braun, intercepté dans les bois d’Auxelles-Haut en rejoignant le maquis du père Dufay. Il lui donnera des informations sur son camarade Pierre D. parti avec lui : son corps fut retrouvé en février 1945. Déporté en Allemagne, Bernard n’est jamais revenu.
La milice aussi s’active : les 6 et 7 octobre, elle fait arrêter le curé Pierre et l’abbé Besançon, son vicaire. Le premier sera condamné à mort. Chacun se souvient du massacre de Banvillars. Ils seront finalement déportés tous les deux à Dachau et survivront jusqu’à la libération du camp en avril 1945.
Chacun vivait dans l’insécurité, à la merci des nazis. Une nuit de novembre par exemple, notre maison est cemée, envahie par une douzaine de feldgendarmes :
« Rauss! Schnell ! « . Réveillés, bousculés, nous nous retrouvons tous les cinq à la cave et interrogés chacun en particulier : « Où sont les armes ? « . Mon père sera arrêté cette nuit-là (pour la deuxième fois) et enfermé à la caserne Friedrich à Belfort. Dénonciation ?
À toutes ces ombres s’ajoutent les contraintes et les risques d’une zone de front. Coupés de tout, les problèmes de ravitaillement deviennent très difficiles. Par bonheur, pommes et pommes de terre ont été abondantes cette année et seront la base de notre nourriture. Ces dernières, cuites  » au diable « , feront office de pain. Dans ce domaine aussi la solidarité saura se manifester entre compagnons d’infortune.
Les écoles sont naturellement fermées durant ce trimestre;certains ne le regretteront pas trop !
Contraintes encore, la nécessité de se protéger des tirs d’artillerie alliés destinés d’une part, à créer de l’insécurité sur les voies de communication, manoeuvres de diversion le 14 novembre d’autre part. Le soir, souvent vers 22 heures, on entend le départ des coups et on attend le sifflement qui précède I’explosion : si celui-ci est perceptible, l’impact n’est pas pour nous.
Les tirs sont bien réglés : ils n’endommageront que quelques toitures, rue Thiers, et détruiront sans bavure la borne Michelin,  » le champignon « , au carrefour de la mairie. Nous dormons alors dans les abris et notre vieille cave voûtée abritera bientôt une douzaine de voisins bien lotis.

L’espoir

Le découragement n’est pas loin quand on apprend fin octobre que les attaques répétées des Alliés dans les Hautes-Vosges n’ont pas permis la percée attendue et la rupture du front. Lorsque les commandos d’Afrique séjourneront parmi nous en décembre, ils nous raconteront les combats implacables et meurtriers de Grosse-Pierre, les Hauts de Tonteux, Cornimont : quatre-vingt-douze tués, trois cent soixante-dix blessés qu’ils n’oublient pas !
Il n’y a plus maintenant d’électricité. Heureusement la turbine hydraulique du Brûlé a pu être remise en route par Émile Girardey, malgré I’interdiction formelle du Hauptmann Lauffer, directeur de la Lainière, collaborateur notoire. Elle nous fournira un faible courant quelques heures chaque soir, relayé par de rustiques lampes à huile que chacun fabrique pour remplacer les bougies disparues depuis bien longtemps.
Soudain, le 14 novembre, de sourds grondements d’artillerie nous parviennent du sud et un messager monté de Belfort nous le précisera le lendemain : malgré un temps exécrable, les Alliés ont repris l’offensive dans la vallée du Doubs. Alors I’espoir renaît.
Au fil des jours, la rupture semble réussir, la libération de Montbéliard après de durs combats, annoncée à la radio suisse, nous le confirme.
Le 18, c’est la région de Ronchamp qui s’anime, le secteur nord de I’attaque, notre secteur. De grosses préparations d’artillerie en sont les prémices. On sait dès le lendemain que le front se rapproche en estimant le temps entre départ et impâct des obus. Nous ne pouvons nous réjouir encore en famille, et nous ne serons vraiment heureux que lorsque mon père nous rejoindra, libéré comme par miracle avec tous les prisonniers âgés, sans autre forme de jugement. Les plus jeunes seront déportés en Allemagne.
Vers 13 h 30, Ie 21, les tirs s’amplifient et se concentrent sur le quartier du Phanitor. Madame Dolet est mortellement atteinte, sa fille cruellement blessée. Je suis au poste de secours du Brûlé et je regarde les obus s’écraser sur les Fiottes, traits cuivrés sur le fond sombre de la montagne. À ces moments-là, on pense à…

 (La suite dans : Ombres et lumières sur Giromagny par René Frick page 34)

J’avais seize ans à Saint-Germain-le-Châtelet

Le 18 septembre 1944, le front s’est stabilisé sur une ligne allant de Pont-de-Roide à Ronchamp. Pendant deux mois, le village subira la dure occupation de l’armée allemande avec toutes les interdictions, les réquisitions, les travaux obligatoires et aussi les vols, officiels ou non : postes de radio, bicyclettes, denrées alimentaires et enlèvement de tout le bétail, avec toujours la menace d’une éventuelle déportation en Allemagne. Dans tous les villages, les hommes valides et très jeunes sont réquisitionnés pour effectuer certains travaux : construction de tranchées antichar, plate-forme pour grosses pièces d’artillerie, tranchées individuelles en bordure des routes…

Le 14 novembre nous entendons une violente canonnade du côté de Montbéliard. Malgré I’interdiction de sortir du village, j’allais récolter des pommes de terre dans un champ situé au Châtelet (c’est maintenant la sapinière du parcours santé). De cette colline située au nord de Saint-Germain je pouvais voir, par la fumée des obus tirés par les chars, la rapide progression de la 1ère division blindée le long de la frontière suisse.

Comme des voleurs…

Au village nous ne connaissons pas exactement la situation puisque les Allemands ont pris tous les postes de radio. Dès les premiers jours de l’attaque vers Ronchamp – Champagney, le village est privé d’électricité. Le soir nous nous éclairons avec des petites lampes à la paraffine de l’armée allemande. Cependant, de jour en jour, le bruit du canon se rapproche.
Les soldats qui étaient au village depuis deux mois s’en vont vers l’arrière, en Alsace.
Le 22 novembre les artilleurs allemands arrivent, deux canons sont mis en batterie derrière les maisons Frelin et Louis Groboillot. Deux autres pièces sont également installées à I’entrée sud du village. Pendant deux jours, ces vieux canons de 80 ouvriront le feu à tout moment de la journée en direction de l’ouest, vers Grosmagny – Étueffont. Mais le troisième jour, le tir s’oriente plus au nord, puis au nord-ouest en direction de Rougemont. Le soir du 24, ces artilleurs déguerpissent en catastrophe abandonnânt une partie du matériel. Dans la journée quelques obus tombent aux alentours du village. Le soir le tir des Alliés redouble d’intensité. Les obus arrivent sur les maisons causant des dégâts à quelques toitures. Touché, un pylône de la ligne à haute tension est tombé. Les habitants s’abritent dans les caves et s’organisent pour y passer la nuit.
Pendant la nuit du 24 au 25 l’infanterie allemande se replie. Les soldats, sales, trempés jusqu’aux os marchent la tête basse de chaque côté de la route en direction de Rougemont Ce sont des vaincus qui quittent notre pays, Ia nuit, comme des voleurs.
Samedi 25 novembre 1944. Après une nuit de bombardement et d’angoisse le jour se lève enfin. Le temps est toujours aussi maussade mais il ne pleut pas. Tout est calme, les tirs d’artillerie ont cessé. Dans les rues on ne voit que quelques soldats, des isolés, apparemment sans unités. Les habitants remontent des caves mais évitent de sortir, l’inquiétude persiste.

Les bérets à pompon rouge !

Vers neuf heures, nous entendons des bruits de moteurs et de chenilles du côté de Bourg-sous-Châtelet. Nous pensons que ce sont les derniers Panzer qui se replient. Mais les mitrailleuses crépitent, cette fois ce sont bien les libérateurs qui arrivent.
Venant d’Anjoutey, une colonne de blindés avance sur le CD 27 en direction de Saint-Germain. Au passage elle arrose à la mitrailleuse les quelques Allemands qui se terrent dans les fossés et qui se rendent aux fantassins qui suivent les chars. Ceux-ci entrent au village, à nouveau les mitrailleuses crépitent. À hauteur de la maison Marcel Frossard, un soldat allemand tombe grièvement blessé. Quelques autres qui étaient dans les caves se rendent sans combat. Arrivés au CD 25, les chars s’arrêtent et stationnent au carrefour et dans la cour de l’école. Les gens accourent, les tourelles s’ouvrent et à notre grande surprise apparaissent les bérets à pompon rouge des fusiliers-marins de la 1ère division française libre.
Alors, après tous ces jours d’angoisse c’est une explosion de joie, tout le village est là pour acclamer, ovationner, embrasser nos libérateurs. Cela malgré les exhortations des officiers responsables qui, craignant les tirs ennemis, demandent aux civils de s’abriter. Les bonnes bouteilles que l’on avait cachées aux Allemands sortent des caves, l’eau-de-vie aussi.
Mais les chefs de chars reçoivent l’ordre d’empêcher leurs équipages d’accepter les libations de la population de plus en plus enthousiaste, sinon les gars ne tiendront pas le coup jusqu’au soir ! Les résistants de Saint-Germain viennent immédiatement se mettre à la disposition des militaires.
Deux hommes guideront la colonne qui doit aller à Rougemont, un troisième est chargé de regrouper les prisonniers, ils sont une dizaine. Dans l’après-midi, il les conduira à Étueffont.
Ordre est donné de bloquer les issues du village, alors une colonne de blindés avance vers la sortie sud. Au carrefour de la rue du Moulin, un char ouvre le feu sur la RN 83, puis la progression continue jusqu’aux dernières maisons. Un civil qui arrive déclare que des Alemands se trouvent encore au hameau des Errues.
Aussitôt les chars ouvrent le feu sur la maison Émile Walger (aujourd’hui Auberge de la Pomme d’Argent). Cette maison est très endommagée.

Bokoff, duc de Saint-Germain…

Mais l’objectif principal est d’atteindre Rougemont, deux chars suivis d’un groupe d’infanterie juché sur des jeeps équipées de mitrailleuses y sont envoyés en reconnaissance avec les hommes du village. Après quelques coups de fusil près du cimetière sur des fuyards qui, à travers champ, se dirigent vers Felon, et la traversée de Romagny sans un coup de feu, la colonne arrive à Rougemont. À Saint-Germain, les officiers de la DFL sont dans le bureau du maire avec Henri Bailly qui a été immédiatement rétabli dans ses fonctions de maire. Après
l’arrestation par la Gestapo de l’abbé Lucien Bailly, vicaire à Grandvillars, sa famille qui habitait Saint-Germain était devenue suspecte. Le maire Henri, frère de Lucien, était soupçonné, à juste titre, d’actions de résistance, fourniture de faux papiers, fausses cartes d’identité, etc… Alors pour un motif futile, le 11 juillet 1944, Henri Bailly avait été démis de ses fonctions, cela malgré une vive protestation de tout le conseil municipal adressée au préfet et au chef de l’État.
Les officiers sont à la mairie, parmi eux il y a le commandant Barberot et le lieutenant Bokanovski : c’est le chef du premier char qui est entré dans le village. Le commandant lui dit : « Bokoff, je vous fais duc de Saint-Germain ! « .
Ne voyant aucune réaction de l’ennemi, ces officiers donnent l’autorisation de pavoiser et de sonner les cloches. Aussitôt les drapeaux apparaissent à toutes les fenêtres. Confectionnés dans la clandestinité, ce sont des drapeaux tricolores, bien sûr, mais aussi américains et anglais, tandis que les cloches sonnent à toute volée. Tous les villageois sont dans la rue, on rit, on discute, les anciennes querelles sont oubliées, jamais nous ne reverrons un tel élan de fraternité au village.
Mais revenons aux opérations militaires. À Anjoutey, les ponts sur la Madeleine ont été détruits ; la route qui conduit aux Errues est truffée de mines. Il ne reste donc que la petite route qui relie Anjoutey à Saint-Germain, le CD 27, utilisable pour les blindés et les véhicules. Sur cette route, pendant l’après-midi du 25, passe la DFL qui se dirige vers Rougemont,
Une partie cantonne aussi au village. Nous sommes émerveillés par la quantité et la modernité du matériel dont est dotée l’armée française; par exemple tous les véhicules sont équipés de radio de communication. Nous découvrons aussi l’alimentation concentrée et vitaminée américaine, présentée astucieusement dans des boîtes étanches en carton portant mention : première moitié de cinq rations et de l’autre côté, seconde moitié de cinq rations, les beans : conserves de haricots à la tomate, fortement épicés et, bien sûr, le chewing-gum et les cigarettes blondes.
Le soir tombe, premier soir de liberté, sans couvre-feu. Quelques sentinelles gardent les véhicules et le…

(La suite dans : J’avais seize ans à Saint-Germain-le-Châtelet par Bernard Groboillot page 53)

1944 à Saint-Nicolas des Bois : de I’Occupation à la Libération

… »Approchons-nous de cet Arbre de Vie et implorons le salut du monde. Notre prière sera plus efficace que le fracas des armes. »

Nous publions ici, avec l’autorisation de la congrégation des Sæurs dominicaines, un document d’un réalisme touchant. Peu de récits sans doute, relatent avec autant de précision et surtout autant de sensibilité, les derniers temps de l’occupation allemande et les premiers jours de la liberté retrouvée.
Extrait de la chronique journalière du couvent des Dominicaines de Saint-Nicolas, ce témoignage écrit par une seule et même religieuse, est ayant tout, le reflet d’une atmosphère presque intimiste où la foi, l’angoisse et le dévouement se fondent en une immense espérance.

Le Vallon en émoi

1er septembre 1944
Ce matin nous avons une désagréable surprise, peloton d’Allemands circule dans le Vallon, cherchant des hommes en fuite, perquisitionnant les fermes d’alentour. Sur ces entrefaites une jeune femme monte en bicyclette ; se voyant suivie par deux Allemands, elle prend peur, entre chez M. et Mme Berthier et les accoste en leur disant bonjour mon oncle et bonjour ma  tante. Ceux-ci sont interloqués, ne répondent rien,  mais les gendarmes allemands, car ce sont eux,  se rendent compte de l’embarras général, ils ordonnent à la femme d’ouvrir son paquet qui malheureusement renfermait des vêtements d’homme. Alors, ils soupçonnent Monsieur Berthier de cacher quelqu’un, ils fouillent la maison ne trouyant rien. M. Berthier  assure qu’il ne connaît pas le mari de cette femme, qu’il ne I’a vu qu’en passant, néanmoins malgré ses énergiques protestations, M. Berthier est arrêté et emmené à Belfort. Sa femme est désolée et tout le Vallon est bien ému.

2 septembre
Madame Berthier a demandé la messe pour son mari, toute la communauté s’associe à sa prière ; puis Mme Berthier se rend à Belfort pour tenter des démarches.

Heureusement, M. Berthier a pu prouver dans son interrogatoire qu’il était absolument étranger à la personne qui l’avait appelé mon oncle et qu’il n’avait aucune relation avec son mari. Il fut enfin cru sur parole et relâché à midi ; le soir nous le voyons de retour avec sa femme au Vallon. Remercions une fois de plus le Sacré-Coeur de sa protection.

5 septembre
Nous traversons de mauvais jours, les Allemands en déroute sont refoulés dans le Territoire, ils débordent dans les villages, prennent tout ce qu’ils peuvent saisir, camions, bicyclettes, bétail etc… Les Américains avancent, on dit que c’est la dernière attaque pour entrer en Allemagne. Nous avons entendu le canon presque toute la journée, des avions survolent en grande vitesse !
C’est la délivrance mais à quel prix, Coeur Sacré de Jésus sauvez notre pauvre France !
Des personnes effrayées viennent chercher asile à St Nicolas. M. I’Aumônier met ses chambres et les nôtres à leur disposition et nous les recevons pour les repas. Nous nous confions à la Providence car nos provisions sont maigres, presque plus de farine et la ration de pain est infime. Impossible de se procurer du ravitaillement. Puissent ces mauvais jours être
abrégés. (…)

Les réalités de I’Occupation

10 septembre
Pendant l’office des complies nous entendons des autos arrivant à toute vitesse, sans nul doute ce sont des Allemands puisque seuls leurs véhicules circulent, le coeur serré on prie avec plus de confiance. Dans la soirée, au moment de la récréation nous apprenons en effet qu’il s’agit d’un cantonnement ; il nous faut héberger une cinquantaine de soldats. Les officiers au château, dans le chalet Massin, les soldats dans les granges et dans notre préau. Cette fois, c’est la pleine occupation. Le lendemain on est un peu anxieuses de ce voisinage, les portes de clôture sont soigneusement fermées, la cour des enfants est livrée à I’occupant, des camions sont remisés et la cuisine ambulante du bataillon. Celui-ci est
composé d’Autrichiens, ils se montrent convenables et réservés, sollicitent quelques services pour leur cuisine. Nos enfants vont prendre leurs ébats dans le petit-bois et sortent par \a porte du fond du corridor, par la cour du Pavillon.
On tâche de s’en tirer au mieux, mais on fait voeux pour que ce séjour soit de courte durée.
Au loin, on entend le canon, la DCA aussi mitraille les avions, hélas c’est la terrible guerre dans sa phase la plus douloureuse pour nous.

12 septembre
Les dangers de la guerre devenant de plus en plus menaçants, la Révérende Mère Prieure fait une promesse à la très Sainte-Vierge, afin de nous placer d’une manière encore plus directe sous sa protection.
(…) Depuis plusieurs jours nous communions avec une demi-hostie et pour assurer notre pain de vie, notre soeur Blanche, seconde sacristine, doit confectionner des hosties ; à grand-peine on trouve la farine nécessaire.

13 septembre
Notre bonne soeur Louise tourière apprend qu’un de ses petits neveux, enfant de cinq ans, résidant à Rougemont a été victime d’un accident mortel. Il jouait avec un de ses petits camarades, ne trouvent-ils pas une grenade égarée dans la paille, l’un frappe légèrement dessus, le terrible engin éclate, tue le neveu de soeur Louise et blesse grièvement son compagnon. La famille de notre soeur et elle-même sont désolées de ce douloureux accident, nous nous associons à leur grand chagrin et prions pour ses âmes éprouvées.

14 septembre
Monsieur I’abbé Saugier, notre confesseur extraordinaire profite d’un intense brouillard pour venir jusqu’à nous remplir son saint Ministère. Il a dû demander un laissez-passer car il faut traverser trois postes à Belfort.
La Sainte Mère Prieure profite de la présence de M. le Curé pour lui demander de nous adresser quelques paroles. En une sorte de causerie, M. le Curé nous dépeint tout d’abord la situation actuelle grave, il va sans dire : d’un côté les Allernands se retranchent dans des contrées qui peuvent leur servir de défense, d’autre part les Alliés accumulent des forces formidables. Que va-t-il sortir de ce choc, encore une hécatombe de morts et des ruisseaux de sang, les hommes vont à la folie ! Il n’y a qu’une folie qui soit bonne mes Soeurs, c’est celle de la Croixl (…)
En ce jour de l’exaltation de la Sainte Croix, approchons-nous de cet arbre de Vie et implorons le salut du monde. Notre prière sera plus efficace que le fracas des armes.

15 septembre
Nos occupants sont corrects, mais ils dévalisent notre bois, profitant de notre scie mécanique ils prennent le meilleur de norte bois de chauffage, afin de s’approvisionner pour leur gazogène. Il n’y a rien à dire, ils s’offrent à payer, mais notre bois rentré pour I’hiver s’écoule… il faut s’abandonner !

(La suite dans : 1944 à Saint-Nicolas des Bois : de I’Occupation à la Libération par Soeur Marie-Solange page 58)

Souvenirs de la Libération à Lachapelle-sous-Rougemont

Prélude à la Libération, la débâcle des troupes allemandes, leur cantonnement au village de Lachapelle-sous-Rougemont, consignés au iour le iour du 1er septembre au 6 octobre 1944 par Colette Haas-Braun, alors en séiour chez sa tante Madame Jaminet demeurant au village. Madame Jaminet, arrêtée en même temps que son mari le 27 janvier 1944, relâchée aussitôt, a tenu à ne pas abandonner sa maison aux mains des Allemands. En avril, c’est l’arrestation de son neveu, Pierre Engels exécuté à Besançon le 24 juin.
C’est alors que l’on confie à  » tante Anne-Marie  » son neveu Pierre Braun (11, ans) et sa nièce Colette Braun (15 ans) dont on pense qu’ils seront plus en sécurité là que dans le sillage de leur père, le docteur Marcel Braun, vulnérabilisé par ses activités de résistance (le 21 septembre on apprend l’arrestation de son fils aîné).

Vendredi 1er
Depuis hier papa parle de nous faire repartir à Lachapelle. On craint trop d’agitation car les Allemands doivent prendre des otages… on part à 5 h en camion. J’ai Poupi sur les genoux et il n’est pas léger. Bernard part pour Rougemont.

Samedi 2 septembre
Nouveau cantonnement des Russes qui s’emparent de la petite maison et exigent ce qu’il leur faut sous menace du revolver. Ils campent derrière la brasserie où chevaux et tentes sont abandonnés. Il leur faut l’écurie. Ils ne repartiront demain que s’il fait beau.

Dimanche 3 septembre
Il pleut mais nos occupants se mettent en route au grand contentement de tous. Tante Anne-Marie ne va pas à la messe pour garder la maison. Les troupes défilent toute la journée.
À 1 h le garde champêtre vient faire les cantonnements avec un aviateur qui trouve le lit de la chambre de bonne trop petit. Des aviateurs envahissent la petite maison et demandent
Lucie comme bonne. Les Russes se sont fait donner hier soir les 2 bonnes valises des Grisez et, comme par hasard, les bicyclettes s’envolent. À 6 h nouveau cantonnement : 2 jeunes officiers. Enfin, la nuit va êre très mouvementée avec ces passages.

Lundi 4 septembre
Gros embouteillage au village. Il passe des prisonniers russes. « En douce » nous leur glissons quelques kilos de biscuits. Leurs mines changent et ils s’éloignent avec remerciements, ils font vraiment pitié. À 4 h, nouvelle visite des chambres. On veut expédier ceux qui s’y trouvent. À 9 h 30 on nous annonce deux colonels. L’ordonnance « Peter » trouve inutile de changer les draps. Nous voulons faire le lit. Le colonel ne put s’empêcher de rire alors que nous lui demandions d’enlever la mitraillette qui s’y trouvait posée. J’ai attrapé le fou rire au nez du colonel alors qu’il nous demandait s’il n’y avait pas de terroristes dans la région ! À peine sommes-nous couchées que deux officiers veulent parler au « vieux » ! (c’est un gros rebondi).

Mardi 5 septembre
Réquisition à la brasserie de tout ce qu’on peut y trouver. Des coups de pétard, des hommes et le camion fut emmené sans avoir le temps de dire « ouf ». L’officier d’hier est venu rendre un verre à dents et demander à « visiter » la toilette. Nous l’amenons dans sa chambre croyant qu’il avait oublié quelque chose au lavabo, mais à notre grande hilarité il demandait les WC.

Mercredi 6 septembre
La voiture à chevaux de la brasserie descend faire des livraisons au village, mais continue tout droit sans remonter à la brasserie… Les avions mitraillent toute l’après-midi et nous faisons une dernière visite au cimetière. Les officiers demandent à plusieurs reprises à prendre la TSF.

Jeudi 7 septembre
Nous prenons la TSF toutes les heures mais nous trouvons que cela n’avance pas ! Nous allons à Angeot en nous arrêtant chez Steiger et chez les J. Jacques de même que chez le cordonnier qui nous apprend différents bobards.

Vendredi 8 septembre
Poupi et moi nous montons à la brasserie chercher des mirabelles mais, à peine étions nous partis que les avions piquaient sur Ie village. Nous revenons en courant, nous étant arrêtés trois fois pour nous mettre à I’abri. Tante Anne Marie était très inquiète. Nous sommes obligés de céder le salon à des soldats qui ont leurs voitures dans le jardin. Envahissement du cabinet de toilette par ces messieurs. Nous rangeons la vaisselle dans la paille.
Jusqu’au soir, trois groupes différents sont venus faire les cantonnements. Ce sont enfin les premiers qui occupent la chambre et à 10 h dérangent toute la maison pour ouvrir une boîte de sardines. Cette nuit passent les voitures à chevaux.

Samedi 9 septembre
Nos officiers laissent une écurie. On vient faire les cantonnements pour un général. À 6 h les soldats commencent à faire des frites et en ont pour jusqu’à 9 h. À 7 h le général descend de voiture. Une haie au garde-à-vous entoure la maison que Monsieur visite aussitôt. Il avait été question que Monsieur prenne son petit-déjeuner dans la salle à manger, mais au
moment où nous mettions notre couvert, un grand tordu est venu demander à ce que M. dîne là à 8 h. Entendu, nous nous installons à I’office, mais il faut donner couverts, assiettes, etc. Ce qui ne ménage pas les allées et venues. Ils réinstallent le téléphone coupé depuis 2 jours et à B heures, quand nous voulons prendre la TSF, l’installation n’est pas finie car il
leur fallait plusieurs lignes, et un quart d’heure après c’était les officiers qui faisaient salon, nous nous sommes repliées. Poupi est ravi car il a reçu bonbons et chocolat.

Dimanche 10 septembre
Tante Anne Marie doit se lever à 6 h pour faire « un bon café », au général. Un officier ne voulant pas se servir du bureau du fumoir demande une table et la discussion commence : « Où est monsieur ? En Allemagne Warum ?… on a trouvé des armes… Oh ! Où ? Ici?… Non, au village à côté « . Depuis les relations furent étroites. Un felfgendarme à plaque monte la
garde nuit et jour et il faut appeler quelqu’un de la maison pour entrer : Poupi s’ennuie et nous sommes réduits à jouer à la boule dehors. Le soir nous nous réfugions dans nos chambres à coucher où avec ardeur je couds un… drapeau américain.

Lundi 11 septembre
Toute l’unité a rejoint le général et nous sommes obligés de laver leurs gamelles. À chaque instant les avions piquent et on entend la dégringolade de Poupi qui préfère se réfugier à la cuisine près de la porte de la cave. Grande émotion à la brasserie où des Russes et une femme ont pétaradé pendant un quart d’heure autour de la maison pour avoir des chambres. On
cherche la feldgendarmerie à leur secours.

Mardi 12 septembre
L’électricité manque. Il faut courir après les  » Cafeekanne  » pour monter I’eau à ces messieurs. Lucie doit faire pour ce soir pommes sautées et 40 biftecks de foie aux pommes. La cuisine reste dans un désordre affreux. On rencontre Paul Robert, Bernard est rentré à Belfort. Le canon ne se rapproche pas et le temps est long. Le soir, Le général n’a pas assez d’eau et les deux ordonnances à la lueur d’une bougie se demandent à la cuisine quel récipient on pourra bien lui donner au général? (Eine Flasche) ? et ils cherchaient des blagues sur le pauvre vieux général. On finit par chercher un bassin, c’est alors qu’ils se moquèrent de lui et pensaient mettre le bassin au pied du lit pour qu’il « tombe dedans et nage ». Le général lui-même vint mettre fin à cette blague un pot à la main. Le matin le quartier fut envahi par des jeunes de l’organisation Todt. Ils ont miné le pont et commencent à retourner le jardin des P. Noblat. Ils commencent aussi un barrage antitank devant chez Prévot. Des tranchées dans le pâturage et en un clin d’oeil le quartier se transforme en un nid de résistance. Nous allons à la recherche d’une cave abritée.

Mercredi 13 septembre
Le bruit court que les blindés sont à Lure. Peu d’avions, mais la canonnade se rapproche. J. Jacques est venu nous annoncer qu’en l’espace d’une minute la maison serait une écumoire. La plupart de nos occupants sont partis, ce matin, surveillés par le général qui est resté toute la journée à contempler la carte. Le soir les ordonnances consentent enfin à faire la
vaisselle. Le bruit court que ce sont les Caucasiens qui défendront Lachapelle. On nous a posé l’affiche bordée de rouge « avis » on ne doit plus fermer les portes.

Jeudi 14 septembre
À 9 h départ du général avec son barda. Un brave téléphoniste vient encore nous dire au revoir et bonne santé, quant au général il ne s’y abaisse pas. Ils ont oublié leur foie de veau qu’ils mangeaient déjà depuis 2 soirs. Tout est en ordre et un officier parlant français veut refaire des cantonnements. Il est 23 h, personne n’est encore là. Tante Anne Marie attend jusqu’à 2 h et va se coucher.

Vendredi 15 septembre
Tout a été calme. Le calme qui précède l’orage. Enfin à 10 h une cavalcade de chevaux montés de cosaques prend possession du salon et retient les deux chambres à coucher. L’après-midi est calme, ils vont aux tranchées. Mais à 5 h, grande toilette – le lavabo transformé en buanderie. À 9 h il faut leur faire cuire un pot-au-feu. Tante Anne Marie veille jusqu’à minuit. Ne voulant pas nous abandonner dans notre chambre, Poupi et moi, nous couchons à la salle de bain : l’officier ayant déclaré que ses hommes étaient dangereux. Oncle Jean Grisez a travaillé aux tranchées.

Samedi 16 septembre
Il faut céder le fumoir (bibliothèque) aux Russes, Grand déménagement. Irène Chaxel nous dit qu’hier il y a eu une rafle à Belfort, ils ont dû partir avec une couverture et 15 jours de vivres. Nous apprenons que les coups entendus hier soir étaient des bombes à 2 km. Nous nous attendons à ce que le barrage en prenne un coup aussi.

Dimanche 17 septembre
Les Russes ont pillé partout. Messe basse et expédiée sans musique car Adèle a elle aussi des habitants. Visite de J. Jacques qui nous distrait un peu. L’officier de Cosaques après une discussion nous promet des combats durs.

Lundi 18 septembre
Une heure de bonne musique par ces messieurs. Grande toilette – odeur de fauve mélangée de parfum. À midi, alors que nous étions à table, un aviateur vient réquisitionner la maison et demande qui occupe la maison : des Cosaques. « Oh ! » fait-il en riant, il faut que j’y installe un état-major » et en un 1/4 d’heure les Russes avaient vidé les lieux. 2 aviateurs nous aident à déménager. La cuisine est de nouveau envahie sous la haute direction d’un chef cuisinier pour qui il faut faire la vaisselle. Enfin ils doivent partir demain.

Mardi 19 septembre
Toujours même embarras. On pourrait mettre à la maison un écriteau « casse-croûte à toute heure » car de tous côtés on vient goûter aux oies, canards, poules et lapins de « Herman ». La cuisine est pleine de mégots. Voyant cela, tante Anne Marie met un cendrier qui 10 mn plus tard sert d’assiette au lieutenant. À 4h je vais à Angeot à travers champs avec tante Anne Marie et assiste à une piquée d’escadrille américaine sur les tranchées.

Jeudi 21 septembre
Grande surprise à 17 h…

(La suite dans : Souvenirs de la Libération à Lachapelle-sous-Rougemont par Colette Haas-Braun page 76)

1945, petit à petit, la vie « normale » reprend ses droits

« Plus que jamais la France a besoin d’être aimée et suivie par nous tous qui sommes ses enfants… ET PUIS, ELLE L’A TANT MÉRITÉ ! » 
(Charles de Gaulle – 1er janvier 1945)

1945 – La vie reprend ses droits, petit à petit. Les chagrins, les blessures, les douleurs sont encore vives, les règlements de compte, les dissensions, les restrictions, les contraintes bien pesantes…

1er janvier
Le retour à la normale passe aussi par le sport. Pour son premier match de la liberté, l’équipe de France de football bat la Belgique, le jour de la Saint-Sylvesrre, par 3 buts à 1 !
À Belfort, la réalité est bien différente. On cherche encore à identifier trois des huit victimes retrouvées au charnier du Salbert. Les corps sont installés rue Victor Hugo dans les locaux du stade Parrot. La presse locale invite toutes les personnes susceptibles d’identifier les victimes à se présenter le plus rapidement possible.

2 janvier
La STABE (Société des Transports automobiles de Belfort et Environs) remet en service deux lignes d’autocars : de Belfort à Giromagny et de Belfort à Rougemont.

3 janvier
Le conseil municipal de Valdoie se réunit, pour la première fois depuis la libération de la ville, sous la présidence de son maire, Oscar Ehret. Il décide d’adresser une lettre de gratitude au colonel Bouvet, commandant les trois groupes de commandos dont l’un – Commando de Courson – libéra Valdoie les 19, 20 et 21 novembre 1944. Il décide également de baptiser l’ancienne rue Nouvelle, rue du capitaine Nalet, tué à la tête de ses hommes au cours des opérations de libération.

18 janvier
La bibliothèque municipale de Belfort n’a pas encore ouvert ses portes cette année, pour cause de non-restitution des ouvrages empruntés ! Les fichiers datés du 18 novembre 1944 précisent que 25000 volumes (soit 90% du fond moderne) sont en circulation « conséquence ou rançon des facilités de prêt accordées sans restriction pendant les jours sombres
et incertains alors que la lecture était pour beaucoup de Belfortains le seul dérivatif permis à leurs soucis quotidiens « . Le 18 janvier 1945, 9 000 ouvrages n’ont toujours pas été rapportés. Avis !…

21 janvier
Trois heures du matin à Giromagny. Le célèbre hôtel  » Le Paradis des Loups  » est la proie des flammes. L’incendie, qui s’est déclaré à la suite d’une  » maladresse  » des militaires qui y résidaient, ravage entièrement le bâtiment. L’explosion des munitions entreposées dans l’hôtel empêche l’intervention des secours.

14 février
Des habitants d’Auxelles-Haut découvrent en forêt le cadavre de Louis Lamboley, industriel et maire de Ia commune.  » Une victime de plus de la Milice et de la Gestapo  » déplore le journal Quand Même. Les obsèques de Louis Lamboley ont lieu le 17 février.

22 février
À 14 heures, le premier autorail, venant de Paris et se dirigeant vers Mulhouse, fait halte en gare de Belfort. Sur le quai, plusieurs personnalités civiles et militaires de la Place accueillent les officiels qui descendent de la Micheline pavoisée. La cérémonie est de courte durée mais elle est « l’heureux présage de la reprise des communications ferroviaires ». En effet, à partir du 2 mars, une ligne express fonctionne entre Paris – Belfort et retour.

26 février
Le département rend hommage à ses vingt martyrs de la Résistance fusillés à Besançon. Parmi eux : Pierre Engels de Lachapelle-sous-Rougemont et Lucien Pichenot de Giromagny. La cérémonie se déroule au Marché Fréry à Belfort transformé en chapelle ardente. Messe solennelle et culte protestant sont célébrés successivement par monseigneur Dubourg et le
pasteur Marchand. Radio-Belfort assure la synchronisation de la voix des orgues de I’institution Sainte-Marie avec la chorale présente au marché. Près de 8 000 personnes assistent à la cérémonie et, en une file interminable, viennent s’incliner devant les cercueils alignés. En signe de deuil, du 24 au 26 février, tous les spectacles (cinémas, concerts, bals, théâtre)
sont interdits sur l’ensemble du département.

Début mars
Un peu partout en France, on assiste à un remaniement des municipalités dont certains membres ont pu, à un moment ou à un autre, avoir une attitude jugée trop aimable avec l’occupant. Ces  » conseils municipaux reconstitués  » sont provisoires, les élections municipales étant prévues le 29 avril. En attendant, le 1er mars, Émile Gauchet devient le nouveau
maire de Rougemont, le 10 mars, Alfred Hartmann est nommé maire de Giromagny. Le 29 avril deviendra une date importante de la dé mocratie française puisque, pour la première fois, les femmes sont appelées à voter. Dans le Territoire de Belfort cependant, les élections municipales n’auront lieu qu’en août, pour cause de libération tardive…

6 mars
Trois cadavres sont découverts dans une fosse du hameau de Bellevue à Chaux. Il s’agit de trois hommes de Plancher-les-Mines, Charles Chipeaux, Maurice Joannard et Émile Lamporte, massacrés le 23 septembre 1944 par Ia Gestapo.

15 mars
Victime du typhus, le maire de Chaux décède au camp de concentration de Dachau à l’âge de cinquante et un ans. Paul Morcely avait été arrêté le 6 octobre 1944 à Lachapelle-sous-Chaux.

6 avril
Soeur Marie Solange note dans le journal quotidien des soeurs dominicaines de Saint-Nicolas, l’anecdote suivante :  » La présence de l’état-major du 12ème dragons au château (Keller) nous vaut de recevoir pour une réparation I’antique drapeau du régiment remis le lundi de Pâques à Paris au colonel du régiment par le général de Gaulle. C’est une insigne relique qui porte dans ses plis les victoires de Jemmapes 1792, Austerlitz 1805, Herlsberg 1807, les Flandres 1918, l’Aisne 1918. Au haut de la hampe,la Croix de guerre, la fourragère et un flot de soie aux couleurs françaises ! C’est une des gloires de la France, aussi le traite-on avec respect et vénération.
( ) En outre le talent de nos soeurs est mis à contribution pour confectionner le fanion de plusieurs pelotons. Notre artiste, soeur Marie Cécile, réussit à réaliser les emblèmes demandés. Sur le fanion du 12ème dragons, ils sont caractéristiques. Ce régiment, étant parti d’Afrique à la conquête de I’Alsace, a pris sur son fanion, d’un côté le dragon, finement brodé avec leur devise, de l’autre une mosquée d’où part une cigogne vers le clocher de la cathédrale de Strasbourg !
Les officiers sont très fiers et ravis de leurs fanions, ( ) L atelier de pantoufles ne manque pas non plus de clients. « 

8 mai
« Terrassé, le monstre allemand capitule sans condition ! » titre le journal Quand Même. Même si le Territoire de Belfort est libéré depuis novembre, la fin officielle du conflit n’engendre pas la liesse populaire. Les blessures sont encore trop vives. Tout juste peut-on parler de soulagement. On fête l’événement bien sûr, mais dans la dignité, avec mesure, comme à Valdoie où la fanfare offre un concert sous le kiosque. Partout les cloches sonnent, les maisons et les rues sont pavoisées. Plus modestement, au petit couvent des dominicaines de Saint-Nicolas, les soeurs fêtent elles aussi la fin de la guerre.
« La Révérende Mère Prieure nous donne dispense du silence, l’après-midi, pour nous unir à I’allégresse générale. À trois heures, nous nous rendons au choeur, pendant que la cloche du couvent sonne à toute volée, nous récitons en action de grâce la dizaine de la résurrection et nous chantons le Magnificat ! ,
Hélas, la guerre continue à faire des victimes, Le 10 mai, la sage-femme de Giromagny, Mlle Eugénie Maillot, en service à Grosmagny, fait quelques pas au bord de la route, une mine explose, la blessant grièvement à une jambe et au dos. Le 11 mai, trois hommes sont occupés à déminer un chemin à Lachapelle-sous-Chaux : une mine explose, Henry Gilliote
de Valdoie est tué sur le coup. Le même jour trois habitants de Valdoie sautent sur une mine dans la forêt de l’Arsot. Uun d’eux doit être amputé. ( Que font les prisonniers allemands ? ‘ s’exclame le journal Quand Même. Le 20 mai, deux enfants Biehler de Giromagny trouvent la mort en manipulant un obus aux abords du fort. Et la liste n’est hélas pas terminée. Le 3 juin, un jeune homme est tué en dévissant un engin de guerre à Étueffont-Bas. Le 14 juin un prisonnier allemand perd la vue au cours d’une opération de déminage à Auxelles-Bas… en réponse à la question du journal Quand Même en somme…

23 juin
Fête de la Saint Jean à Giromagny organisée par le Syndicat d’Initiative qui a repris ses activités. Le SI a fait ériger sur les pentes du Mont Jean une grande croix de Lorraine éclairée électriquement. Le bûcher traditionnel ne peut hélas être allumé en raison de la sécheresse, cependant de nombreux feux de Bengale et lampions accompagnent la clique des sapeurs-pompiers de Giromagny et les cors de chasse de Vescemont qui animent la soirée.

15 juillet
Surprise pour les Giromagniens ce dimanche vers 19h. Un défilé de chars…

(La suite dans : 1945, petit à petit, la vie « normale » reprend ses droits par François Sellier page 89)

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